Simone Haack
Voyage aux limites de la perception
« Je navigue constamment entre l’hyperréalisme et l’abstrait. Je peins des choses qui n’existent pas mais qui semblent familières. »
Peintre originaire du nord de l’Allemagne, Simone Haack inaugure sa toute première exposition individuelle à Paris à la galerie Bastian. A l’occasion, l’artiste nous parle de cette zone inconnue qui la fascine, où la frontière entre le réel et l’irréel est ténue.
D’où vient votre fascination pour les cheveux que l’on retrouve beaucoup sur vos toiles ?
Simone Haack :
A l’époque, j’avais commencé une toile figurative, mais j’ai réalisé à mi-chemin que je n’étais pas satisfaite de mon travail. Je voulais détruire le tableau et j’ai commencé à recouvrir les visages de cheveux. C’est alors que j’ai remarqué quelque chose d’intéressant : les cheveux prenaient vie. J’ai continué dans cette voie: un moment clé dans ma peinture. Les cheveux sont porteurs de notre identité, de notre ADN : ils en disent long sur nous, et j’ai trouvé intéressant de m’intéresser à ce sujet, car l’identité est un thème central pour moi. Dans mon univers pictural, ils oscillent entre abstraction et hyperréalisme selon la composition. J’aime ce jeu d’ambivalence.

Comment mariez-vous hyperréalisme et abstraction ?
Simone Haack :
La première fois que j’ai vu des peintures de Dali et d’autres surréalistes, au début des années 90, ça a été un choc pour moi. J’étais fascinée par ce mélange entre deux éléments : l’un réel et l’autre, irréel. Dans mes tableaux, j’applique la logique du réel à l’invisible et à l’irréel. Je m’intéresse à la visualisation de l’invisible, à la création de mondes inconnus.
Ces scènes de trophées de chasse font référence aux natures mortes classiques du memento mori. Il s’agit de scènes qui semblent réelles, mais qui, dans leur artificialité, avec leurs distorsions dues à la peinture qui prend son indépendance, ouvrent un lieu inconnu. De même, j’ai voulu représenter une scène de la nature assez typique de la région où j’ai grandi : les marais. Mais la mousse qui court sur les racines de ces arbres est faite de cheveux.
Mon travail appartient au courant dit du réalisme magique. Il traite de l’improbable mais aussi de la dissolution des frontières entre les genres : par exemple, ces images bleues oscillent entre le portrait, le paysage sous-marin aux profondeurs de la mer et la nature morte. Depuis mon adolescence, j’ai pris l’habitude, au réveil, de noter dans un carnet les détails de mes rêves qui me semblaient intéressants. Je suis fasciné par la logique du rêve, sa dramaturgie imprévisible et ses ambiances. C’est une source importante de mon travail.

Quelle relation entretenez-vous avec la pensée de Michel Foucault ?
Simone Haack :
Mon exposition « Heterotopia » s’inspire de Foucault. Les hétérotopies sont des « autres lieux ». Contrairement à l’utopie, ce sont des lieux réels au sein ou en marge de la société, avec leurs propres règles, leur propre temps et une fonction particulière. Comme les villages de vacances, les bateaux, les musées, les jardins ou encore les fêtes comme le carnaval. Quand on y entre, on devient quelqu’un d’autre. Son texte m’a séduit sur le plan poétique. Je voulais découvrir ce que pouvaient être les hétérotopies dans mon univers pictural. Elles sont improbables, mais pas impossibles, à la périphérie de la perception. Entre le beau et l’effrayant, le rêve et le jour, le réel et l’imaginaire.
Votre exposition présente aussi quelques photographies. Qu’est ce qui vous plaît dans ce médium ?
Simone Haack :
J’ai souvent utilisé la photographie comme référence pour ma peinture. Mais il y a toujours eu des photos qui étaient autonomes, comme la série d’acrobates présentée ici, « Alter Ego ». On peut dire que L’hyperréalisme est un pont entre la peinture et la photographie.
Propos recueillis par Nicolas Salomon et Agathe Ternoy
Photos : Jean Picon

