Ibeyi
Yin et Yang de la pop
“On n’est le drapeau de personne. Mais pour nous un artiste doit représenter sa génération”
La musique des jumelles franco-cubaines Ibeyi, subtil métissage hérité d’un background unique, trouve son rythme entre énergie de feu et spiritualité paisible. Leur puissance créatrice, Lisa-Kaindé et Naomi Diaz la puisent sans cesse dans leurs racines, venezueliano-cubano-tunisiennes. Jusqu’à leur nom, Ibeyi, emprunté à la langue de leurs ancêtres, le yoruba, qui signifie “jumelles”. Leur univers empreint des sonorités du monde est le fruit de ce mariage des cultures. Nourries d’influences diverses, les jumelles, aussi à l’aise avec la voix et le piano que les percussions, créent la rencontre entre la Soul, le Hip-Hop, le Jazz. La force de leur identité fait vibrer les cœurs, jusqu’à celui de Beyoncé. Bien avant de se voir offrir un rôle dans son album visuel Lemonade, Ibeyi figurait déjà au rang des artistes favoris de la reine de la pop. Ambassadrices de la Maison Chanel, qui ont enchanté les coeurs de la “fashion crowd” au défilé croisière de Karl Lagerfeld au Cuba, en collaboration avec les artistes les plus pointus de leur époque (Orelsan et Jorja Smith, pour en citer quelques-uns), à seulement 28 ans et avec deux albums au compteur, Lisa-Kaindé et Naomi Diaz forcent l’admiration. Pour la sortie de Spell 31, Say Who les a rencontrées. L’occasion parfaite d’aborder ensemble les thèmes forts qui ponctuent ce dernier album, sororité, féminismes, engagement, éthnicité. Un intense moment de poésie en plein cœur de Belleville.
À quel moment la musique a-t-elle pris une part dans votre vie ?
Naomi Diaz : Depuis toujours. Même dans la poussette, on allait déjà aux concerts. Entre notre grand-mère qui nous a bercé avec des mélodies vénézuéliennes, notre père qui faisait du latin-jazz avec les Buena Vista Social Club, la Flûte Enchantée qu’on écoutait pour s’endormir, puis le hip-hop, la musique électronique, Amy Winehouse, et le conservatoire … C’est dans nos gènes.
Et quand avez-vous compris que vous vouliez en vivre ?
Naomi Diaz : Cela s’est fait de manière très naturelle. Composer c’est comme un jeu. Lorsque l’on est enfant, on s’amuse, et au fur et à mesure l’écriture a pris une une place importante dans ma vie. Dès que j‘avais une forte émotion, j’allais au piano. On ne savait pas ce que l’on faisait.
Lisa-Kaindé : Nous n’avons jamais voulu en vivre. D’abord c’était pour rire, puis un jour on te propose un album et là ça devient sérieux. Si au début, il y avait quelque chose de très naïf, on a passé le cap de l’enregistrement avec fluidité. Aujourd’hui encore on joue mais tout s’est intensifié.
Dès vos débuts, vous avez mélangé vos origines, entre le Yoruba, qui est l’une des trois langues nationales du Nigeria, mais aussi le cubain et l’anglais. Comment composez-vous ?
Naomi Diaz : Lisa commence par écrire, et moi je suis plus dans la production. Pour moi la musicalité prévaut même si un jour peut-être …
Lisa-Kaindé : Je suis sûre que tu vas écrire ! Pour moi, c’est vital. J’écris des journaux intimes depuis mes sept ans, tous les jours. Et pour les langues, il y a quelque chose de très viscéral. L’anglais a été presque une évidence, surtout avec la découverte de Ella Fitzgerald, Adèle ou Amy Winehouse. Les paroles évoluent en fonction de mes émotions.
Être soutenues par Richard Russell, un producteur qui a accompagné des musiciens comme Bobby Womack ou Damon Albarn, ça vous procure quel sentiment ?
Lisa-Kaindé : Très simple, avec lui, il y a quelque chose d’inné. On est d’égal à égal, sans fioritures. À 18 ans, si ce n’est pas Beyoncé, rien ne change dans ta vie. Aujourd’hui nous nous sentons honorés après ces dix années de confiance.
Naomi Diaz : Nous n’avons pas cette obsession du star-system, il faut juste qu’il y ait le feeling et un échange fort dans nos façons de penser, nos visions des choses, notre amour de la musique.
Vos textes s’emparent de plus en plus de sujets poignants. Quelle place donnez-vous à vos engagements politiques dans votre musique ?
Naomi Diaz : On n’est le drapeau de personne. On ne veut évangéliser personne, mais pour nous un artiste doit représenter sa génération. Comment ne pas évoquer certains sujets actuels ?
Lisa-Kaindé : Cette démarche a été le fruit de notre éducation, mais on ne s’est jamais demandé comment être activistes. Ce mot est très fort. Il ne faut pas l’utiliser à mauvais escient. On espère juste raviver des flammes et éveiller des consciences, mais l’activisme vient après.
Naomi Diaz : Pour nous, avec le Yoruba, chanté en communion, l’esthétique spirituelle est culturelle. Tout ce que l’on est, est un mélange de nos identités. Aujourd’hui, on est nourri de ces énergies multiples qui créent l’ADN IBEYI. Et l’esprit famille demeure primordial, d’ailleurs lorsque l’on est à Paris, on est souvent fourré chez notre grand-mère, ou Lisa est souvent au “Deux Amis” à Oberkampf.
Vivez-vous à Paris ?
Oui ! Mais demain, qui sait ? (Rires). On adore Paris pour son âme, notre grand-mère et le style.
La mode a une place importante dans vos vies. Si vous deviez choisir une silhouette pour la vie quotidienne et pour la scène ?
Lisa-Kaindé : C’est difficile à choisir. J’aime bien les costumes pour hommes Dior de Kim Jones, ou les pièces oversize signées Acné Studios. À la fois féminin et masculin, on est comme dans une armure dedans, et surtout cela me rappelle Janet Jackson dont je suis fan.
Naomi Diaz : Pour moi, le streetwear est un uniforme idéale, surtout quand je le mélange avec des touches style 16ème arrondissement, comme la petite chemise classique. Et mon icône style, c’est Rihanna.
Lisa-Kaindé : Pour les bijoux, nous sommes adeptes de Chanel, la beauté des pièces nous subjugue. En ce moment on adore les superposer, lorsqu’elles s’entrechoquent cela devient musical.
On vous croise souvent aux défilés de la Fashion week…
Lisa-Kaindé : Oui, on adore pouvoir s’y rendre dès qu’on en a l’occasion, et être entourée de ces personnalités inspirantes, de ces univers fascinants.
Comme Jean-Baptiste Mondino qui aime faire de vous ses modèles !
Lisa-Kaindé : Jean-Baptiste est très inspirant, être en shooting avec lui, c’est que du plaisir. Il connaît toute la musique, en plus, il a collaboré avec des artistes que l’on adore. Seulement quelques clichés, et son œil suffit à sublimer l’instant.
Interview : Camille Laurens
Photos : Jean Picon