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23.01.2025 Maison&Objet, Paris #design

Julien Sebban

A la rencontre du Collectif Uchronia

« Uchronia au départ, c’était un pari, je n’avais aucune idée de là où cela nous mènerait, et nos aventures me surprennent jour après jour. »

Le collectif pluridisciplinaire Uchronia figurait parmi les invités « hauts en couleurs » de cette édition de janvier 2025 chez Maison & Objet portant sur le thème Sur/Réalité. À travers une expérience immersive autour de l’hospitalité, son fondateur Julien Sebban a pu exprimer toute la palette de son univers ludique et vivifiant de l’architecture et du design. Retour sur le parcours ultra-éclectique et décomplexé de ce jeune trentenaire passionné, qui exauce, jour après jour, des rêves toujours plus grisants.

 

Nous nous retrouvons dans le contexte du salon Maison & Objet, qui vous a donné carte blanche pour créer un espace inspiré du thème « Sur/Reality » de cette édition. Peux-tu nous développer votre proposition en quelques mots ?

JULIEN SEBBAN:

Nous avons été invités dans le cadre des « What’s New? », ces espaces thématiques mettant en scène les nouveautés design et déco des participants au salon à travers une scénographie signée. Comme le nôtre portait sur l’hospitalité, est né le concept « d’Hôtel Uchronia ». Il se compose d’un bar, d’une salle de petit-déj’, d’une chambre, d’une salle de bain ou encore d’une salle de gym. En dehors de la contrainte visant à curater une soixantaine de pièces d’exposants, nous avons bénéficié d’une totale liberté (ce qui est rare) et donc, avons pu pleinement exprimer notre vision.

 

Et puis, cette installation a donné lieu à de belles collaborations : les éditeurs Misia et Casamance avec leurs tissus d’exception, Tréca pour créer un lit rond ultra-large en Cachemire, Christofle qui nous a fourni un ensemble arts de la table. Pour la section « sport », nous avons créé des tapis de yoga avec Hercule Studio et exposé des équipements Technogym. Sans oublier la légendaire maison d’édition BD Barcelona Design (Barcelona) qui nous a mis à disposition des pièces rééditées de mobilier de Dali.

C’est la marque de fabrique du salon de créer des espaces thématiques inspirants. La file d’attente devant votre installation n’a pas désempli. Comment expliques-tu ce succès ?

JULIEN SEBBAN:

Je pense que notre intervention s’inscrit d’abord dans une démarche de renouveau de Maison & Objet depuis que Mélanie Leroy en a pris les rênes l’an passé. Entre les invitations « Designer de l’année » offertes à Lionel Jadot et Faye Toogood, et la carte blanche à notre studio, le salon a fait le choix de fédérer une nouvelle garde, ce qui apporte du sang frais.

Oui, mais cela ne suffit pas à expliquer cette fréquentation de plus de 13 000 visiteurs de « l’Hôtel Uchronia » sur une moyenne de 3000 ou 4000 pour ce type d’espace chez Maison & Objet. Sur quoi repose l’expérience vécue par les visiteurs ?

JULIEN SEBBAN:

Le mot « expérience » est le plus approprié en effet. Notre concept immersif de « boîte » permet de couper le visiteur de l’environnement d’un salon design, pour lui faire vivre l’ambiance d’un hôtel à part entière. En écho à l’esprit surréaliste, cette boîte le transporte dans un monde « parallèle », générateur de rêves et d’imaginaire. Le caractère fantasmagorique de l’ensemble est amplifié par des jeux de lumières et d’échelles : des alternances d’ambiances jour & nuit, des inversions de proportions, des objets qui volent, une baignoire en forme de « peanut » (un code récurrent de notre univers) avec Marmi Faedo, ou encore des personnages en mouvement transformant totalement la perception fonctionnaliste des machines Technogym dans la salle de gym. D’une manière générale, on adore les mises en scènes théâtrales porteuses de sens, et puis raconter des histoires.

Dans votre capacité à créer des mondes éphémères narratifs, vous vous comportez finalement moins comme des architectes que comme des « entertainers » ?

JULIEN SEBBAN:

Uchronia, c’est d’abord un collectif pluridisciplinaire capable de décliner un concept d’espace en identité visuelle plus globale. D’autre part, j’adore la temporalité des projets éphémères, des scénographies en particulier. Nous travaillons depuis 4 ans sur la construction d’un « vrai » hôtel à Paris. Il n’a toujours pas vu le jour. L’installation de Maison & Objet nous a pris 5 mois, mais elle permet de montrer toute l’étendue de nos possibilités en matière d’innovation.

Il y aussi cette dimension « pop » vitalisante ?

JULIEN SEBBAN:

Je n’aime pas ce terme de « pop », trop connoté. Je préfère parler d’architecture dans un style 2025 décomplexé, solaire, joyeux, coloré. Même le blanc constitue une couleur à mes yeux. Globalement, on essaie de se faire plaisir et de provoquer de l’émotion, c’est cela qui touche les gens. D’autre part, le monde sous-marin m’inspire énormément, je plonge beaucoup en Australie chaque année, c’est l’une de nos principales références.

Vos tons de rouge ou d’orange dénotent des atmosphères calmes et beiges du marché français…

JULIEN SEBBAN:

C’est pour cette raison que nous fonctionnons bien mieux en Angleterre ou aux Etats-Unis. Mais on arrive à faire les deux. Typiquement, deux projets radicalement différents viennent de sortir en presse. Une résidence près du Parc Monceau dans un dégradé de vert apaisant. Alors que le délire intergalactique du concept-store Koibird à Londres est bien plus ludique. Il faut dire que le contexte scénarisé d’une boutique se prête mieux à la prise de risques.

Viens-tu d’une famille qui entretenait ce caractère festif et vivant ?

JULIEN SEBBAN:

J’ai eu une enfance « colorée » mais je suis né dans le 14e à Paris, dans une famille de docteurs très cool, sauf qu’elle se situait à l’opposé d’un milieu artistique. Ma liberté créative très « anglo-saxonne » provient de mes années d’études en architecture à Londres, et puis de mes voyages à New York, en Argentine ou encore en Australie où je passe un mois et demi de l’année.

Tes imprimés all-over rappellent ceux de figures cultes de la décoration britannique comme David Hicks (et ses fameuses moquettes à motifs du film Shining). Est-ce à Londres que tu t’es nourri de ces références ?

JULIEN SEBBAN:

Je ne me considère absolument pas comme décorateur ! L’AA School de Londres est l’une des écoles d’architecture les plus prisées au monde, où sont passés Zaha Hadid et Virgile Abloh. J’y ai consacré 7 ans de ma vie. L’accès y est extrêmement difficile et j’ai pu aussi la suivre grâce à une bourse. C’est dans cette école que j’ai développé ma thèse sur « l’uchronie », un sujet plutôt sérieux.

L’uchronie se définit comme une fiction utopique consistant à modifier un moment de l’histoire, et à réinventer le monde qui en a suivi. Même si tu as une aversion pour le mot « pop », vos formes rondes et couleurs vives rappellent un ancrage dans les années 70. Or, la fraîcheur, et surtout l’authenticité de votre univers provient de votre capacité à dresser des ponts avec d’autres époques ? Je pense à votre expertise dans les savoir-faire traditionnels français ? Contrairement aux trente glorieuses qui avaient adopté des matières industrielles comme le plastique…

JULIEN SEBBAN:

Je ne vais pas renier mon attachement à des figures du design 70 comme Verner Panton ou Ettore Sottsass. Mais la « bande » des surréalistes de Magritte à Dali m’a davantage inspiré. Concernant notre démarche artisanale, non seulement nous faisons très attention aux matériaux que nous utilisons, mais le savoir-faire d’excellence français me passionne. Le magazine AD vient justement de publier un beau portrait de famille des artisans qui entourent Uchronia : de notre menuisier Bruno Cassaro de La Fibule à Sabine Verzier de la Manufacture d’étoffes Prelle, ou encore Sophie Toporkoff qui a développé son atelier de création et d’édition de vitraux. Contrairement aux autres architectes, nous tenons à mettre nos artisans en avant ! Et puis, on se parle tous les jours avec eux, nous sommes devenus amis.

En parlant de famille, des clients comme le chef cuisinier Julien Sebbag sont indissociables de votre histoire ?

JULIEN SEBBAN:

Julien, c’est l’un de mes meilleurs amis. Nous nous connaissons depuis l’âge de 15 ans. C’est lui qui m’a d’abord sollicité pour la création de son restaurant Créatures sur le toit des Galeries Lafayette. A la suite de quoi, nous avons pu l’intégrer aux projets que nous développions avec le Musée d’Art Moderne de Paris. Ainsi est né le restaurant Forest dont la visibilité a été immense, générant de nombreuses commandes de restaurants par la suite.

Votre famille englobe par ailleurs tous ces talents de la scène créative internationale, dans une approche transgénérationnelle et pluridisciplinaire. Je pense à l’illustrateur, ornemaniste et designer d’intérieur Pierre Marie.

JULIEN SEBBAN:

Pierre Marie, j’adore lui commander des pièces ! Nous allons très bientôt dévoiler un projet un peu fou qui a impliqué l’excentrique sculpteur et créateur de mobilier Mark Brazier-Jones. Sans parler du duo iconique Garouste & Bonetti, ou encore de la céramiste Ebony Russell avec laquelle nous avons imaginé des vases fascinants.

Pour en revenir au surréalisme dont tu te revendiques, c’est l’un des courants qui a le mieux maîtrisé l’art de « concilier l’inconciliable » ! Uchronia semble avoir atteint un point d’orgue dans l’éclectisme radical de ses collaborations : une collection grand public chez Monoprix, des vitrines prochainement pour une grande maison, des salles de sport… Et ce n’est pas tout ! Vous avez été sollicités par le festival californien Coachella pour une intervention au sein de sa prochaine édition en avril 2025.

JULIEN SEBBAN:

Plus nous avançons, plus nous attirons des personnalités différentes, je trouve cela extraordinaire. Après avoir collaboré avec des maisons très proches de nous comme Charles Paris ou la manufacture Prelle, je n’aurais pas imaginé m’exprimer dans le secteur du sport. Or nous allons signer le premier centre de padel (ce nouveau sport de raquettes en vogue) à Paris intra-muros. Concernant Coachella, nous allons au bout de nos fantasmes en proposant une installation sculpturale XXL à base de fleurs gonflables multicolores d’une hauteur de 17 mètres, qui s’illuminera pendant la nuit pour devenir le point de ralliement d’une marée humaine de plus de 300 000 personnes. Uchronia au départ, c’était un pari, je n’avais aucune idée de là où cela nous mènerait, et nos aventures me surprennent jour après jour.

Accepter des projets artistiques ou culturels « vitrines », cela permet à Uchronia de se réinventer ?

JULIEN SEBBAN:

J’adore collaborer avec le champ culturel, et j’accepte toujours les projets vitrines. Même s’ils ne permettent pas de gagner nos vies, il y a toujours cette idée d’intention poussée à l’extrême. Ces projets deviennent l’occasion d’explorer de nouveaux territoires, de s’essayer à des exercices de style. Certes, le festival Coachella représente un rêve qui se réalise, mais mon ambition se situerait plutôt dans la production d’installations dans le contexte de la ville. Notre lit monumental installé dans la cour de l’Hôtel de la Marine pour la dernière Design Week était un premier pas vers l’espace public, ouvert à tous, sans distinction. Ce qui a donné lieu à toutes formes de réactions, c’est ça qui était enrichissant.

 

 

Prochaines actualités : 

  • Nouveau showroom, Paris 18e
  • Installation éphémère au Festival Coachella en avril 2025

 

 

Propos recueillis par David Herman

Photos : Jean Picon

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