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24.11.2022 #design

Anthony Authié

Fondateur de Zyva Studio

 « C’est vrai que j’ai repris, consciemment ou inconsciemment les codes de l’influence pour montrer mon travail. J’essaye de mettre en place mon personnage. Mon double ».

Anthony Authié a 30 ans, et depuis quelques années, le commun des mortels le connait sous le nom de Zyva Studio, son studio… d’architecture, disons. Dans la réalité, la pratique d’Anthony est bien plus large. Elle questionne, toujours, la discipline, soulevant ses incohérences ou la pensant sous le prisme de sous-cultures aussi inhabituelles que le bodybuilding ou la télé-réalité. Cette pratique à 360 degrés qui définit aujourd’hui l’identité de Zyva, s’est pourtant développée moins par choix que par obligation.  Avec la 3D, Anthony se crée un personnage et use des codes de l’influence 3.0. Avec l’écriture, il pose ses réflexions sur le papier, comme un défouloir, qu’il adopte comme partie intégrante de sa pratique. Nous le rencontrons dans son appartement flambant neuf à Bagnolet pour parler de son parcours, de sa vision de l’architecture et du design, et surtout, en creux, de comment la création d’un personnage public à l’esthétique forte est aujourd’hui un moyen de démarcation crucial dans un milieu aussi compétitif que l’architecture. 

 

Tu as fait tes études à l’École Nationale Supérieure d’architecture et de Paysage de Bordeaux, comment s’est passée l’entrée dans le monde professionnel ? 

Je suis entré dans une grosse agence, qui s’occupe notamment de la construction de certaines tours à la Défense. Mais j’ai rapidement eu un sentiment de désillusion, comme si l’on m’avait vendu, pendant toutes mes études, un rêve qui en réalité n’existe pas. J’en ai tiré un petit bouquin intitulé « Baston de Regards » dans lequel j’exorcise ces questionnements sur la pratique de l’architecture et sur l’arrivée dans le monde du travail. C’est un livre qui parle de cette chute, et qui commence à poser mes idées sur l’architecture, en lien avec les sous-cultures notamment. Il a été ma première aventure en solitaire, une sorte de moment hors du temps, suspendu, en opposition aux demandes très terre-à-terre auxquelles je devais répondre dans le travail. J’ai enchainé avec un deuxième essai « Muscles», qui fait cette fois le lien entre la pratique du bodybuilding et de l’architecture. Les hommes qui font de l’haltérophilie semblent se créer un double corps, une sorte de membrane les préservant de l’environnement extérieur. J’ai relié cette idée à celle de la maison, du cocon, de l’endroit où tu te réfugies.

 

Publier un ouvrage représente toujours un engagement théorique, comme si tu gravais tes pensées dans le marbre et qu’il était alors difficile de revenir en arrière…

Ces publications se construisaient autour de ma passion pour l’architecture et me permettaient de matérialiser un vrai projet personnel, construit, habitable. Je voulais créer des espaces dans lesquels ressentir ces émotions dont je parle dans les livres. C’est à ce moment-là que je me suis posé la question de comment accéder à la commande, je n’arrivais pas, sans réseau réel à Paris, à trouver de premier client. J’ai alors vu l’essor de la 3D et des images de synthèses avec des rendus très réalistes. Je me suis dit que si je ne pouvais pas avoir de premier projet, je pouvais le construire moi-même, pour me donner une légitimité dans le milieu. Et pour avoir cette légitimité, il me fallait être publié. Et pour être publié sans projets, il fallait que je fasse de la 3D. J’ai donc travaillé sur des projets photo-réalistes pour leurrer certains journalistes…

 

 

J’avais effectivement écouté un de tes talks pour AD dans lequel tu en parlais, c’est très intelligent. Et cela donnera surement des idées aux nouveaux arrivants..

Oui je pense qu’il est important d’en parler pour les jeunes qui sortent de l’école. L’architecture est un milieu de réseautage, il faut aller au Pavillon de l’Arsenal et connaître tout le monde. Ce n’est pas forcément ton cas quand tu ne fais pas tes études à Paris. J’ai demandé à mon entreprise de me financer une formation 3D, j’ai acheté un gros ordinateur et je me suis lancé. Rapidement, je me suis donné des contraintes, comme sur un vrai projet, et j’ai créé une histoire. J’ai envoyé mon projet – fictif, donc – à la presse en le faisant passer pour un projet réel, j’avais même rédigé un communiqué de presse. A l’époque, je n’avais même pas encore mon statut, mais ça a fonctionné ! J’ai eu une publication Design Boom, puis AD Russia, puis un reportage sur mon premier projet réel que je faisais pour un ami. 

Les projets sont arrivés rapidement ensuite ? 

Je ne suis pas dans l’abondance de projets, par choix. Je veux pouvoir repenser l’espace dans sa globalité.  J’aime l’idée que les gens souhaitent travailler avec moi pour mon identité propre. Du coup, ma production est assez constante en terme d’esthétique, très cohérente. Tout est lié. J’ai aussi développé des idées de design sur des petits mobiliers. Comme pour l’écriture, je ne me prédestinais pas au design, mais j’aime aujourd’hui l’idée de développer une pratique vraiment poussée, sous différents aspects. Je suis reconnaissant quand les gens m’appellent pour des projets à 360 degrés, qui me donnent l’impression de me réinventer constamment.

 

 

Les gens viennent effectivement te chercher pour une esthétique globale, qui est de fait sélective, puisque tout le monde ne serait pas prêt à avoir ce design radical chez lui. 

C’est exactement l’idée. J’ai une esthétique particulière et il faut que les projets sur lesquels je travaille entrent dans cette vision. Je suis prêt à faire des concessions, mais il faut aussi que le client soit à l’écoute. Cela ne peut fonctionner à sens unique, je comprends qu’on ait envie de mettre son âme dans un projet, mais on ne démarche pas Ralph Lauren si on veut faire du Gucci.. 

Il me semble que tu as utilisé les codes de l’influence pour faire connaître ton travail, ce qui est assez inattendu dans le milieu de l’architecture, non ?

C’est drôle que tu parles de ça, parce que beaucoup de sujets qui m’animent et m’inspirent viennent des sous-cultures, comme le tuning, la techno ou la variété française. Je parle aussi beaucoup de télé-réalité, car j’ai toujours baigné dans cette culture. Ma mère regardait le loft, c’était son rendez-vous, et j’étais à côté. C’est vite devenu impopulaire pour une sorte d’élite intellectuelle… 

Jusqu’à ce que cela revienne, comme un snobisme ultime…

Exactement. Moi j’ai toujours aimé, et je regarde encore pas mal de choses. Ce n’est pas de la curiosité pour la médiocrité. Je veux vraiment savoir ce qu’il se passera entre telle et telle personne au prochain épisode. Et c’est vrai que j’ai repris, consciemment ou inconsciemment ces codes de l’influence pour montrer mon travail. J’essaye de mettre en place mon personnage. Mon double. 

Le vêtement a toujours été un grand outil de construction d’un soi public. 

Il est essentiel que je ressemble à mon travail car je crée des « boites » , des maisons, qui sont censées représenter les personnes qui vivent dedans. Je dois avoir une esthétique qui me ressemble, dans laquelle je « fit » totalement. Je vois cela comme un tout indissociable. Je ne fais aucune différence entre ma vie personnelle et mon travail, tout est intimement lié. Mon travail influence ma personne et vice-versa. C’est quasi-viscéral.

 

 

Je me suis souvent fait la réflexion que les grands directeurs artistiques étaient ceux qui s’habillent le plus sobrement. A part, peut-être, Alessandro Michele, pour parler actualité. 

Il y a de nombreuses postures. On peut préférer s’effacer pour laisser place au travail. A l’inverse, quand les deux vont ensemble, c’est une aventure à deux. Une journaliste avait écrit un petit ouvrage intitulé : « Pourquoi les architectes s’habillent en noir ? ». 50% considèrent que c’est pour s’effacer par rapport à leur travail. C’est l’idée de l’ombre. L’architecte devient une lumière noire qui passe et l’architecture est l’oeuvre principale. Pourquoi pas ? Mais ce n’est pas ma manière de penser.

Les valeurs et l’humain font partie intégrante de cette image et de la construction de ce « personnage public ».

Il faut toujours être le plus intègre possible avec ses clients. Mais aussi éviter de se faire bouffer. Je choisis de travailler avec des gens qui respectent et sont intéressés par mon savoir-faire. Il faut toujours trouver un équilibre, ce qui représente un vrai jeu de balance. Je pense qu’il est important d’être quelqu’un de complet dans sa production, dans sa réflexion et aussi dans sa manière de vivre les éléments. C’est important de ne pas appeler quelqu’un en lui demandant de faire l’inverse de ce qu’il est.

Là, tu refais deux appartements ?

Je travaille sur l’appartement de l’artiste Squeezie et celui de Myd.  Squeezie, c’est mon plus gros projet, une carte blanche avec peu de retours. Il y a simplement une contrainte, celle de faire un studio d’enregistrement pour streamer. C’est assez particulier car il faut qu’il y ait un décor, une gestion des cables pour ordinateur. L’architecture va devenir son identité publique. Pour Myd c’est pareil, tout tourne autour de son identité, de sa manière de parler, de s’habiller, nous avons mis en place tout un concept autour de lui. Mon travail va devenir une forme de télé-réalité, car toutes ces personnes attendent une esthétique radicale, qui rejoint ma vision de l’architecture. Ceux qui travaillent avec moi choisissent d’avoir quelque chose de singulier et cela permet d’appliquer concrètement les théories que j’avais commencé à écrire, sur le trans-design, le monochrome et la recherche perpétuelle d’un espace ludique qui fait référence à ma jeunesse.

 

 

Est-ce qu’il y a des matériaux que tu bannies complètement ?

A une époque, j’étais obsédée par une esthétique assez froide. J’avais aussi un discours assez radical sur la non-utilisation du bois. Avec la maturité, je me rends compte que mes raisons n’étaient pas les bonnes. Squeezie, par exemple, voulait du bois, et j’ai du coup essayé de réinterpréter ce matériaux pour en faire quelque chose qui m’appartient et qui rentre dans ma vision. Je vais donc l’utiliser plus comme un motif que comme un matériau, comme un monochrome qui n’est plus un monochrome de couleur mais de motif. Le monochrome est quelque chose d’assez obsessionnel qui permet de créer des espaces immersifs. Avec le même motif sur le sol, sur le plafond, on perd les notions d’horizontal et de vertical. J’ai un penchant pour les espaces froids et les couleurs saturées, par mon enfance, par les dessins animés, les cartoons, la télé-réalité. J’utilise vraiment la couleur comme un volume, pour dissocier les espaces, sans pour autant cloisonner. J’aime les espaces ouverts, liés par la fonction, dans lesquels on est un peu perdus.

La couleur fonctionne pour toi comme des points cardinaux ?

Elles permettent d’identifier l’espace. Le Corbusier que l’on voyait souvent comme quelqu’un de très clinique, comme un moderniste radical, très rigoureux et utilisant beaucoup de blanc, était en fait un très bon coloriste, et il disait souvent que la base de blanc faisait chanter la couleur. Cela m’a touché quand je l’ai lu, car ça fait écho à ma manière de voir les choses. Une base monochrome neutre est là pour mettre en valeur le reste.

La couleur donne donc, selon toi, une vraie identité à des espaces souvent laissés à l’abandon ?

Les toilettes ou la salle de bain sont considérées comme des pièces dîtes pauvres. Mais on y passe en réalité beaucoup de temps, et j’aime ré-enchanter ces espaces dans lesquels on peut donc mettre une volonté esthétique forte. Créer du choc en architecture faut du bien. L’architecture permet de réveiller la curiosité des gens.

 

 

Cette idée me rappelle le musée MUMOK à Vienne, ce grand bâtiment noir, au milieu d’un quartier autrement classique…

Créer une proposition qui fait que la personne lève la tête et regarde, c’est le but des villes « composites ». Elles égayent la curiosité. Massimiliano Fuksas a écrit un livre qui traite de ce sujet « Chaos Sublime », qui parlait de l’idée d’hybridation, des choses qui se construisent avec des strates historiques. Le Corbusier avait voulu tout supprimer en créant une ville fonctionnelle, comme un corps parfait avec pour but la production et la rencontre sociale. D’un point de vue théorique, l’idée marche, mais pas en pratique. Ce qui marche, selon moi, c’est la ville composite. L’homogénéité crée le musée, on n’est plus étonnés mais subjugués. Dans mon essai « Muscles », je parle de l’hybridation, du trans-design, et de cette architecture hybride. Je pense que l’on a déjà tout créé sur le plan esthétique, et que ce qu’on doit créer aujourd’hui c’est de l’hybridation, en prenant une table Louis XVI et en y ajoutant un pieds hydraulique trouvé dans un garage à Montreuil par exemple. On compose avec deux éléments antinomiques mais qui racontent une histoire du temps.

Peux-tu vivre de tes projets d’architecture ?

Non, car l’architecture n’est pas très bien payée au final. Mais je ne cherche pas un turn-over de dingue. Je ne pourrais pas travailler sur plein de projets en simultané, sinon j’aurais besoin de déléguer en terme de direction artistique et je n’en ai pas forcément envie pour l’instant. Les moments où je fais de la 3D sont des sortes de soupapes, je peux aussi écrire. Là je fais des savons pour Noël avec ma copine. J’adore me démultiplier, toucher à de nombreuses échelles et médiums. Sans ça, je n’aurais pas l’impression de vivre 5 vies à la fois, et je pense que je m’ennuierais.

Propos recueillis par Pauline Marie Malier

Photos: Jean Picon

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