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#Mode

Jenny Hytönen

Grand Prix du Jury Première Vision au festival international de mode, de photographie et d’accessoires de Hyères

 « Toutes mes pièces sont construites selon les codes de la Haute Couture. Elles sont toutes impossibles à reproduire, et donc, uniques ».

Jenny Hytönen est finlandaise. Il y a quelques semaines elle a emporté le Grand Prix du Jury Première Vision à la 37ème édition du Festival de Hyères. Passionnée de tricot, Jenny développe une pratique hybride à la croisée entre l’esthétique BDSM et les techniques de tricotage et maille à l’ancienne. Une pratique particulière qu’elle décrit d’ailleurs comme nécessitant la minutie propre aux mathématiques. Car si tricoter une pièce requière déjà beaucoup de temps, imaginez ce qu’il en est quand il s’agit de tricoter des pièces en verre, chez soi, sur une machine manuelle. Cette passion pour le textile est aussi un moyen pour la jeune femme de travailler méticuleusement sur la lumière, et de créer ainsi des pièces uniques, et non reproductibles. Là réside probablement le secret de sa victoire à Hyères; dans un travail qui ne se limite pas à imiter la Haute Couture, mais qui en invente au contraire une nouvelle forme. 

Comment as-tu décidé de postuler au Festival de Hyères ? 

Postuler au Festival de Hyères était un de mes rêves depuis que j’ai commencé mes études à l’université de mode en Finlande. Après avoir obtenu mon diplôme, je suis venue vivre à paris, et c’est là que j’ai décidé de sauter le pas. Un peu dernière minute, je dois dire. C’était la course, j’ai imprimé mon portfolio en courant une heure avant d’aller au travail…

Tu travaillais déjà à Paris à ce moment-là ? 

Je faisais un stage chez Olivier Theyskens, et j’ai ensuite été embauchée, en tant que développeuse maille. C’est là-bas que j’ai vraiment appris à manier les techniques spécifiques au tricotage.

 

 

Là… que tu as appris à tricoter des cristaux? 

Probablement ! J’ai étudié à l’université d’Helsinki mais je voulais vraiment venir à Paris. La chance a tourné quand j’ai gagné, à la fin de mes études, le Grand Prix du diplôme de mon école. J’avais présenté la genèse de la collection présentée à Hyères. Cette collection m’a permis de trouver le stage chez Olivier Theyskens. 

Hyères ouvre de nombreuses portes aux finalistes et encore plus aux gagnants. Tu as eu la chance de travailler avec Première Vision, qui met à disposition les tissus eco-responsables. Comment cette collaboration s’est-elle passée pour toi?

Elle n’était pas si évidente, tout simplement car je crée mes tissus moi-même.. Je tricote tout avec ma machine, chez moi, et il était du coup un peu compliqué d’aller à Première Vision, et de choisir des textiles qui iraient vraiment avec mes idées. Mais finalement, j’ai trouvé le bon compromis avec les pièces en cuir recyclé, qui matchaient finalement bien avec l’esprit BDSM de la collection. 

Ces propositions de collaborations ont justement pour but de vous ouvrir à de nouvelles idées ou possibilités auxquelles vous n’auriez pas pensé tous seuls. 

Oui et je dois avouer, avec le recul, que j’ai été un peu têtue au départ. Je voulais faire les choses à ma façon, mais je dois bien avouer que le cuir était une bonne idée. Le coton ou le lin n’auraient pas eu de sens, mais le cuir, si. 

Comment est-ce que tu construis ton tissu ? Ce doit être des heures de travail…

La maille est ma spécialité, mais l’idée derrière mon travail est de travailler la lumière, en jouant sur les reflets. C’est pour ça que j’ai choisi d’intégrer des pièces en verre qui permettent de donner un aspect surréaliste à mes pièces. Je ne veux pas que l’on puisse voir le maillage, seulement les reflets.

 

 

Comme Soulages avec son noir !

En réalité, le tricot, c’est une question de mathématiques. Je voulais absolument utiliser une technique traditionnelle, concevoir mes pièces en entier en partant de 0. Chaque modèle doit donc être calculé avec précision. Je vois les modèles dans ma tête et je les réalise ensuite sur ma machine. C’est un procédé intéressant, qui prend pas mal de temps, mais le rendu du fait-main est particulièrement beau à mon sens. 

Ton travail a été récompensé notamment pour la quantité de travail nécessaire à la construction de tes pièces. L’originalité n’est pas suffisante pour l’emporter. 

Je l’espère en tout cas, car toutes mes pièces sont construites selon les codes de la Haute Couture. Elles sont toutes impossibles à reproduire, et donc, uniques. 

A la suite de ta nomination en tant que finaliste, tu as eu la chance de pouvoir développer un chapeau avec Maison Michel. Comment est-ce que cela s’est passé ? 

C’était une collaboration très instructive : je n’avais aucune expérience en chapellerie et eux n’avaient jamais travaillé sur un projet comme celui que je leur ai proposé. Nous avons dû travailler main dans la main pour que que cela fonctionne. C’était d’ailleurs assez homemade, on a construit le chapeau sur la tête d’un des employés de la Maison en combinant les techniques de tricotage et les méthodes traditionnelles de chapellerie. 

 

L’univers de Maison Michel est bien loin du tien qui s’inspire des esthétiques BDSM. Comment est ce que vous avez réussi à combiner les deux ? 

L’équipe Maison Michel a été très ouverte d’esprit. L’idée était de discuter mes idées et de les coupler avec l’expertise Maison Michel, que j’ai toujours admiré. Nous devions créer une pièce qui combine parfaitement leur monde et le mien grâce à un artisanat haut-de-gamme. Et autant vous dire que fusionner l’artisanat Maison Michel et les influences BDSM était pour le moins… intéressant. C’est une pièce unique, une pièce luxe. 

Le luxe parle de temps, de procédé, de savoir-faire. 

Pour moi le luxe, c’est créer des pièces faites pour durer. C’est parler d’intemporalité. 

Comment as-tu pris toute l’attention des médias après Hyères ? 

Je peux vite me sentir dépassée, c’est vrai. Je n’avais jamais eu l’expérience d’un tel stress. Mais je pense que je m’en suis pas trop mal sortie, en tous cas j’ai essayé d’apprendre de ce rush. 

Est-ce que vous avez assez de temps pour parler du jury pendant la préparation à Hyères ? 

Nous avons les présentations devant les jurys qui consistent en quatre minutes pour parler de notre concept. Mais il y a ensuite toute une journée au showroom avec des vrais temps de discussion, c’est très instructif.

 

 

Pour être jury, il faut réussir à prendre du recul, à laisser de côté son esthétique personnelle et à critiquer de manière positive. 

Nous avons finalement très peu parlé d’esthétique, mais vraiment de l’aboutissement des collections. Le plus important en regardant le travail des gens, c’est de l’envisager en termes techniques et de donner une opinion honnête. Je pense que c’est un peu le même exercice que lorsqu’on travaille pour une maison.

Voudrais-tu devenir directrice artistique d’une grande maison ? 

Probablement un jour, oui. Je suis encore jeune et je pense que nous avons encore beaucoup à apprendre. Je ne me vois pas le faire maintenant. Je pense que ça doit être assez intense. Pour l’instant je me concentre sur ce qui arrive. Je dois travailler avec Première Vision, puis avec Chanel Métiers d’Art. Je vais aussi devoir être jury à Hyères l’an prochain. Ça va être un mois de dingue .. et même une année de dingue. 

Est-ce que tu aimerais créer ta propre marque ? Ta pratique est tellement hybride qu’elle mériterait d’avoir une plate-forme dédiée. 

Pour l’instant je préfère garder toutes les portes ouvertes. Je pense que c’est la manière la plus simple de procéder. Ensuite, c’est vrai que mon rêve a toujours été de travailler pour moi-même.  On verra bien où tout cela me mène…

Propos recueillis par Pauline Marie Malier

Photos : Jean Picon

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