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25.01.2022 #lifestyle

Julien Sebbag

Balade en Forest

« Forest, c’est comme un bunker post-apocalyptique où l’on aurait sauvé le souvenir de la nature… »

Entre Forest, restaurant post-apocalyptique du Musée d’Art Moderne, Créatures, bulle de bien-être sur les toits des Galeries Lafayette, la sandwicherie Micho et Tortuga à découvrir bientôt, rien d’étonnant à ce que Julien Sebbag soit en vogue. Entre douceur, gourmandise et fête, le chef nous dévoile les secrets de sa recette. Si l’univers du chef cuisinier est aussi singulier, son parcours et ses envies le sont tout autant : insuffler du renouveau et de la magie dans sa cuisine. À seulement 29 ans, sa vision du métier se dote d’un gourmand ésotérisme. Entre ses voyages aux quatre coins du globe, ses rencontres et un profond respect pour ses produits, la cuisine fait irruption dans sa vie comme une évidence. Alors qu’il s’imaginait galeriste, le voilà aujourd’hui accolé à l’un des plus grands musées parisiens, mais pour y régaler les appétits des visiteurs ! Et pas que, car si Julien a été piqué par l’amour de l’art culinaire, il imagine son restaurant comme un ovni entre éveil des sens, danse, transe et régal gustatif ! L’occasion pour nous de découvrir la signature singulière de l’artiste, encore imprégné de son récent voyage au Mexique …

Tu es en rush ce midi, et pourtant tu sembles parfaitement détendu. Quel est ton secret pour rester aussi zen ?

Je reviens d’un voyage de trois semaines au Mexique où j’ai passé l’un des réveillons du nouvel an les plus paradisiaques de ma vie… Un éden ambiance Ibiza ou Mykonos dans les années 70, donc je suis encore en sas de décompression !

Déconnexion totale ! Surtout que ton année a été assez intense : avec tes deux restaurants à gérer, le festival international Taste of Paris au Grand Palais, les nombreuses émissions consacrées à ton travail… Comment l’as-tu vécue ?

Bizarrement très bien, avec de la maturité. Je suis beaucoup plus serein que les années précédentes. J’ai eu l’impression de pouvoir me poser et prendre le temps d’approfondir mes projets alors qu’avant c’était la course permanente…

Aussi parce que Forest n’est pas un restaurant éphémère ? Cela change ton rythme ?

Totalement. Pour la première fois, j’ai un restaurant quatre saisons avec des concepts pour chacune ! Ca pousse à imaginer l’évolution des recettes en fonction des produits de l’été ou de l’hiver, puis osciller entre la terrasse et notre cocon à l’intérieur du restaurant. Forest demande des défis permanents. Si les pop-ups et les restaurants estivaux me permettent de ne pas me lasser, voir l’évolution d’un endroit au gré du temps est une autre forme de plaisir. Et puis avoir Dorion, DJ et producteur, à mes côtés comme directeur artistique, c’est une chance inouïe pour imaginer les idées les plus folles à mettre en place. Sans oublier ma cheffe exécutive Jessica Soussan, en qui j’ai une confiance totale… La machine se rode de mieux en mieux !

Surtout que tu as un parcours assez unique dans le milieu de la cuisine ! Très autodidacte, et moins classique que la plupart des chefs. Peux-tu m’en parler ?

Commencer en école de commerce pour finir aux fourneaux n’est pas forcément le schéma classique mais quand j’y réfléchis, rien n’arrive par hasard ! À la base, je bossais dans l’art contemporain, mais côté business. En troisième année d’école, je me suis envolé pour Londres pour monter des concepts dans l’art et là, coup de foudre en préparant de grandes tablées avec les colocs ! Je passais des heures à arpenter les street-foods, les marchés, à découvrir des chefs culte comme Yotam Ottolenghi de l’émission « Jérusalem ». Puis, second coup de foudre, cette fois avec une jeune femme israélienne et me voilà en année de césure à Tel-Aviv, à me passionner pour l’univers et la cuisine de Miznon, et cette nouvelle culture qui me met une gifle totale. En parallèle de cette passion pour la gastronomie, j’ai continué mes stages dans des galeries d’art, il me semblait encore impossible de vivre de la restauration…

Et pourtant …

Il faut y croire ! Je me rends de plus en plus compte que l’instantanéité de la cuisine me fait mille fois plus vibrer que le reste. Donc à ce moment là, je me suis lancé en multipliant les expériences sur place, puis à Paris en salle et cuisine, sans me douter qu’un jour je serais chef. J’ai d’abord commencé en catering seul, pendant deux ans, en lançant mon concept à domicile. Je faisais tout : de l’ambiance à la décoration, mais surtout la cuisine ! Et ça a pris fort, de Londres à New-York en passant par Tel-Aviv, j’étais appelé un peu partout…

Et comment t’es-tu créé ce réseau à l’international ?

Grâce à Insta ! Pour rire, je balançais pleins de stories où je montrais mes galères, mon quotidien. Au début, je n’avais même pas le permis donc je faisais tout en skate ou en métro, puis avec Autolib. Parfois on m’enlevait la voiture avec les produits à l’intérieur quand je faisais les courses. Cette proximité sans prise de tête a plu et mon réseau s’est agrandi. Mon associé actuel, qui fait partie du groupe Moma, connu comme « créateur de concepts forts et de marques puissantes » était dans mon réseau de l’époque. Il est tombé sur mon contenu et m’a proposé un concept éphémère. J’ai eu le choix du roi car ils ont plusieurs autres restaurants comme L’Arc, Lapérouse, et dans cette liste, le Bus Palladium, où je passais tous les samedis soirs, donc bingo : « Chez Oim » est né !

Ça donnait quoi ce premier restaurant ?

C’était tous les mardis soirs. On avait pensé à un concept festif autour de la gueule de bois parce que le mercredi il n’y a pas école ! C’était un peu « viens faire la fête chez nous en semaine sans risquer le mal de tête au travail” ! On a sorti la cuisine dehors, presque sur la piste de danse, avec un côté très « nature-peinture ». Une grosse table au milieu, avec des plats dressés devant les gens et des DJ sets. On voulait décomplexer la cuisine et la rendre très instinctive. Aujourd’hui, cela me semble si différent de mes attentes mais pour mettre le pied à l’étrier, c’était idéal.

Surtout que le confinement a été déterminant dans ta carrière. Il y a eu un avant et un après ?

Merci les réseaux sociaux ! Je sors d’isolement où j’ai découvert les Reels pour m’occuper, ça a sauvé ma semaine ! Pendant le confinement, pareil. Ça a été salvateur, j’ai repris toutes mes bases en cuisine et rattrapé toutes mes lacunes… Avant, je me sentais plus directeur artistique culinaire à survoler autour de nouveaux concepts. Cette formation à domicile obligatoire a été merveilleuse. J’ai réappris à faire tous les bouillons, les légumes, les sauces, les cuissons, les degrés ! J’étais tellement heureux que j’ai partagé ça à ma communauté qui a été très réceptive. Le confinement a transformé ma vision de la cuisine, désormais plus artisanale et qualitative. Par exemple : aujourd’hui je sers un pain fait par un artisan qui lève son propre levain. Avant, c’était « Team Rungis », maintenant « Team Terroir d’avenir » !

Y a-t-il des chefs  ou des comptes Instagram qui t’ont particulièrement influencé ?

Julien Sebbag : Social Food avec Shirley Garrier et Mathieu Zouhairi. Grâce à eux, j’ai pris conscience de l’impact de la photographie culinaire, du jeu des lumières, de rendre un plat esthétique… De donner envie au prisme d’une vidéo ! Pendant le confinement, les chefs ont vu leur popularité s’envoler grâce à l’émotion qu’apporte une recette.

Comment vis-tu la notoriété ?

Très simplement … Les réseaux créent une proximité qui enlèvent le côté élitiste des célébrités. Il y a une bienveillance réciproque !

Et comme tu le dis, il y a vraiment eu un boom de popularité des chefs qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis les confinements. Êtes-vous connectés ? Y a-t-il des échanges entre vous ?

Oui ! Je suis très proche d’Alessandra Montagne, la cheffe du restaurant Nosso, de Benjamin Cohen de Dalia, et Diego Alary, Matthias Marc chez Substance… On parle beaucoup de nos actualités, on se pose des questions, on se conseille. Avec l’explosion de l’émission Top Chef, la « starification » du métier apporte beaucoup de nouveaux enjeux… Parfois, on fait des actions groupées (rires) !

D’un resto végétarien chez Créatures, très sain et gourmand, à Tortuga à venir, plus gastronomique, en passant par Forest, comment imagines-tu les univers propres à chaque restaurant ?

À chaque lieu, ses enjeux. Par exemple, lorsque je suis monté sur les toits des Galeries Lafayette, à l’inverse des autres étages dont l’atmosphère est si bouillonnante, j’ai vu cette immense terrasse, paisible, j’étais obligé d’y proposer une bulle de calme. Le mood healthy était évident ! Et surtout, j’avais envie d’attirer les Parisiens qui avaient déserté le lieu…

Défi relevé ! Parlons un peu de Forest que tu as lancé avec Dorion, DJ et producteur phare des nuits parisiennes… Comment tout a commencé entre vous ?

Le groupe Moma est très friand des concepts de resto-festifs. Il était évident pour nous que l’aspect nocturne devait s’inviter chez Forest. Et puis, il y a surtout eu notre coup de foudre amical avec Dorion qui a changé ma vision du restaurant. J’ai toujours voulu faire vivre des expériences à mes invités, et lui manie parfaitement les codes d’une ambiance réussie. On s’est rencontrés lorsque je lui ai proposé d’organiser une des fameuses « Je t’aime Party » sur le toit de Créatures le 21 Juin et le 4 Juillet entre les deux confinements ! Imaginez…

Forest, tu le décrirais comment ? 

Un détail important avant de l’expliquer : Dorion et moi, on s’est rencontrés dans la forêt de Barbizon où l’on a passé un mois à se nourrir de cette atmosphère verdoyante. Tous les investisseurs du restaurant se rendaient là-bas en costume-cravate et nos meetings avaient lieu sur des rochers ! C’était à mourir de rire. J’ai toujours trouvé le mot “forêt” magique plein de paradoxes, de beauté et de nostalgie. Cet écosystème si fragile symbolise le déclin de ce que l’on est en train de provoquer. Ainsi l’idée d’incarner notre restaurant comme un espace de verdure perdu au milieu du granit urbain a été une évidence… Et puis grosse dédicace à la chanson de The Cure qui reflète ce paradoxe entre la vie et la destruction. Forest, c’est comme un bunker post-apocalyptique où l’on aurait sauvé le souvenir de la nature…

Et pourtant le Musée d’Art Moderne est l’un des espaces les plus urbains en terme d’architecture.

Raison de plus ! Notre forêt est immersive, c’est le métaverse ! (rires). Les fleurs sont projetées sur les murs grâce à des diaporamas ondulants, les odeurs ont été travaillées avec la maison de parfum IFF pour reproduire la sensation de la mousse, le bois mort en décoration, la musique pensée avec minutie par Dorion qui a décliné le morceau « Plantasia » en plus de 7000 versions, comme des lucioles éparses…

Chaque détail participe à cette immersion.

Grâce à la décoration ultra-inventive de Julien Sebban d’Uchronia, un ami proche : des lampes en pierre volcanique à la table centrale coulée en résine incassable au projections florales orchestrées parfaitement par l’artiste Alice Grenier Nebout, tout Forest a été pensé comme une mise en scène pour rendre possible les shows. Dorion invite aussi les créatures de ces « Je t’aime Party » à intégrer notre univers. On a un danseur de voguing, Snake Ninja, qui vient purifier les clients avec de la sauge, des DJ sets imprévus qui nous plongent dans une fête enivrante, entre rêve et réalité. Tout est très naturel, comme un fluide qui passe entre les tables. Mais surtout on ne veut rien forcer, les énergies se répandent à leur rythme.

Quel est le but ?

Faire vivre une expérience unique, une explosion des sens !

Comment faire vivre l’inspiration en cuisine ?

Pour moi, c’est une flamme qui oscille. Je tente des choses mais je reste sur des produits frais : un esprit méditerranéen qui s’adapte toujours à ce que la nature lui offre. Je m’efforce de faire l’équilibre sucré/salé/acide/amer dans chaque assiette. L’huile d’olive et le citron sont mes bases. En ce moment, je prépare beaucoup de choses autour du chou frisé rôti avec des œufs de truite, pour le côté iodé, du miso pour le sucré et des zestes de citron pour l’amertume, j’essaie de créer un équilibre entre ces saveurs ! C’est presque mathématique…

Des projets à venir ?

Je vais bientôt ouvrir Micho, un restaurant de sandwichs plus ambiance street-food, et Tortuga qui sera un restaurant gastronomique.

Pour finir, quelle serait ta table rêvée ?

Paul McCartney, Lou Reed, Jean-Michel Basquiat, Moïse et Scarlett Johansson. Je leur servirais tellement de plat qu’ils ne se lèveraient plus jamais !

Interview : Camille Laurens

Photos : Jean Picon

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