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23.12.2015 #lifestyle

Philippe Morillon

L’œil d’une époque

En France, dans les années soixante-dix, le grand public ne pratiquait pas le noctambulisme, sauf à Saint-Germain-des-Prés

Figure clef de la vie nocturne des années 70 et 80, du Palace aux Bains Douches, Philippe Morillon a immortalisé une époque, parfois nostalgique, que beaucoup admirent. Parmi son œuvre, on retrouve notamment des femmes qui ont su traverser les décennies et dont l’aura marque encore: Inès de la Fressange, Loulou de la Falaise, Farida Khelfa. Un parcours éclectique: le journal Égoïste, le magazine Interview ou encore Vogue. Des rencontres incroyables: Andy Warhol, Helmut Newton, Richard Avedon. Saywho et Philippe Morillon se sont entretenus. Rencontre.

Présentez-vous en quelques mots.

Si, à soixante cinq ans j’ai fait beaucoup de choses plus ou moins artistiques, la photographie dite « mondaine » n’a pas été mon activité principale. Hélas, car c’était bien amusant. Dans les années soixante-dix, je faisais des illustrations dans le style pop, un peu hyperréaliste. J’avais besoin de documentations et de photos pour préparer mes dessins. Il fallait toujours finir une pellicule commencée  (l’argentique c’était 36 poses)  donc je les finissais avec des photos de mes amis… Voilà comment cela a commencé.

Racontez-nous votre passé d’illustrateur, avant d’être photographe.

J’ai fait une école de dessin dans les années 60, juste avant mai 68. Après mon diplôme, j’ai cherché du travail tout seul avec un dossier d’illustrations. J’en ai trouvé très facilement, car je présentais bien et j’étais habillé à la mode, le secteur était alors en plein «boom», on n’en demandait pas plus…

Vous fréquentiez le tout-Paris branché à l’époque (70). Comment et quand avez-vous commencé à sortir ? 

Assez tard, j’ai commencé à travailler à vingt ans, et je me suis mis à sortir vers vingt trois ans,  vers 1973,  autour de ce qu’on a appelé le mouvement «rétro», c’est-à-dire le goût pour les années 30, la Factory de Warhol avec ses premiers films, la boutique Biba à Londres, toute une ambiance un peu glam-rock… 

Après ce mouvement dans les 70’s, aujourd’hui, la jeunesse «branchée» veut copier les années 70/80… Pourquoi toujours cet attrait pour le passé, selon vous?

Ma génération, comme celle d’aujourd’hui, n’était pas très à l’aise dans son époque.
Nous souhaitions vivre « underground », dans des espaces parallèles de la contre culture, disait-on. 
Nous pensions qu’il y avait un autre monde, qui ne soit pas celui des «pompidolismes» glorieux des années soixante-dix avec des meubles design et ce genre de choses modernes. Nous n’aimions pas du tout ça.
Nous vivions dans une sorte de fiction (où les joints n’arrangeaient rien) basée sur les films d’avant la guerre avec pour modèle des actrices hollywoodiennes pâmées, très maquillées, vues à la Cinémathèque. Il y avait eu la collection Saint Laurent « rétro » 71 avec les chaussures compensées… un scandale à l’époque. Nous adorions acheter aux puces du mobilier 1930… C’était une mode réactionnaire, nostalgique. Peut-être un refuge par déception aux rêves inassouvis de mai 68 disait-on, c’est discutable. J’y vois plutôt une sorte de réaction anti baba-cool et contre les gauchistes négligés.
Aujourd’hui, les jeunes souhaitent-ils toujours échapper à notre époque qui n’est pas spécialement drôle pour eux ? Sûrement, et le passéisme est devenu une institution en France.
C’est la même chose avec un célage de vingt ans et la nostalgie des années 2000 ne va pas tarder. Ce passé des années 70/80 était une sorte de paradis sur terre par rapport à la dureté des temps actuels, surtout pour les jeunes. Que ça puisse faire rêver, devenir une sorte de mythologie, je trouve ça évident. Avec le temps on n’en voit plus les détails désagréables, tout est magnifié.

Quelle a été la période la plus mondaine de votre vie ?

Après 1975, j’ai commencé à aller au Club 7. C’est là que je suis tombé sur la bande de Loulou de la Falaise, Saint Laurent, Andy Warhol, etc. Des gens plus chics, des professionnels de la fête depuis déjà plusieurs générations, alors que nous, nous étions un peu des amateurs. Et puis après avec les Bains douches et le Palace ça a pris un tour plus professionnel. Et dans les années 80 c’est devenu franchement «smoking». Très mondain, avec des dîners et des soirées tous les soirs.

Vous étiez toujours avec l’appareil photo ?

Oui, l’appareil photo c’était parce que Andy (Warhol) se promenait toujours avec un petit appareil Minox pour photographier les gens, et puisque tout ce qu’il faisait était parfait, nous faisions exactement la même chose que lui, et nous nous promenions avec un petit appareil photo Minox pour faire des photos dans les soirées. 

En quoi diriez-vous que la mondanité, les sorties, ont été des éléments fondamentaux de votre parcours ? Pensez-vous qu’il aurait été différent sans tout cela ?

C’est difficile à dire, mais c’était très utile pour constituer un  réseau, bien sûr. Mais les mondanités, à l’époque, étaient beaucoup plus spontanées : il y avait moins de monde, ce n’était pas des trucs organisés avec des attachés de presse, des placements pipoles, des coins VIP… Il suffisait d’être dans la petite bande de deux cents personnes à la mode, et ça allait, on était au courant de tout et tout se passait très bien. Quand on est à la mode, qu’on sort et qu’on voit d’autres gens à la mode, on le devient encore plus. En même temps, c’était n’importe quoi parce qu’on se défonçait comme des bêtes, on se couchait à cinq heures du matin et le lendemain on devait rendre des dessins pour une agence de publicité… Je ne sais pas comment on faisait! Mais ça marchait très bien.

À quel moment tout cela s’est-il essoufflé ?

J’avais l’intime conviction que ça allait durer comme ça toute la vie, que j’allais rester très à la mode et que j’allais sortir tout le temps et que rien n’allait changer, que tout allait toujours rester merveilleux. Mais au milieu des années 80, tout s’est écroulé. Des crises économiques ont affecté la société, le sida est apparu… Le style de dessins que je réalisais n’était plus aussi recherché qu’auparavant, la mode à changé. Et le soufflé s’est dégonflé aussi rapidement qu’il avait monté.

Quelles ont été, pour vous, les grands moments du Palace ? Son ouverture a-t-elle représenté un tournant pour la nuit Parisienne ?

Oui, en France, dans les années soixante-dix, le grand public ne pratiquait pas le noctambulisme, cela n’existait pas. Le métro fermait à minuit, la télé s’arrêtait à minuit. Il n’y avait rien la nuit : on dormait !
Sauf à Saint-Germain-des-prés, pour les gens de chez Castel, les grands bourgeois style Françoise Sagan… C’était vraiment une petite
bande de privilégiés et de gens chics. Tout d’un coup, « ça » s’est ouvert au grand public. Démocratisation ! c’est cela l’événement.
Il y a eu pendant quelques années un mélange, entre les « Marie-Hélène de Rothschild » et les petits coiffeurs qui venaient au Palace. S
oudain le rêve du mélange des couches sociales en une même fête semblait possible, évidemment c’était une fiction, mais on y a cru… un peu. La démocratisation de la nuit elle, est restée « la nuit blanche » est devenue ordinaire, même s’ils ne sortent pas les gens passent leur nuit sur FB…

Les plus belles rencontres que vous y avez faites ?

J’ai rencontré Warhol en 1977, alors qu’il venait faire une exposition à Paris. À l’époque, j’habitais avec François Wimille, le cousin d’Inès de la Fressange, qui avait fait un stage à New York dans la banque de leur famille, mais il passait son temps à la Factory et dans les bars gays. Ils se connaissaient très bien. J’étais exactement le genre de personne qui pouvait intéresser Andy : j’étais jeune, assez agréable à regarder, illustrateur commercial comme lui même quand il était jeune. On s’est très bien entendus. Pour moi, c’était un rêve. Il était un énorme artiste en plus d’être un noctambule mondain qui adorait sortir.

Parlez-nous de la série que vous dévoilez sur la SAYWHO Gallery.

Pour la SAYWHO Gallery, j’ai choisi huit femmes (en référence au film de François Ozon), et des femmes qui sont des icônes, des personnages forts. Pour un photographe c’était l’idéal : elles étaient toutes très photogéniques. Il n’y avait qu’à appuyer sur le déclencheur.
Edwige était souvent chez moi, Djemila et Farida aussi, Inès aussi… On était assez proches. De mémoire, j’ai shooté les premières
photos d’Inès au Moulin, chez ses parents. Elle se demandait à l’époque comment elle allait faire pour composer un bon book de mannequin.

Ces photos étaient-elles destinées à être publiées ?

Oui et non. D’un coté, certaines étaient prises pour les magazines Égoïste, Play Boy ou des peintures personelles. Mais comme je réalisais aussi une chronique mondaine dans Interview d’Andy Warhol, ces photos pouvaient avoir un potentiel emploi pour ma page. Les autres, je les prenais pour animer les soirées, un prétexte à faire des grimaces et prendre des poses. Avant tout : des images pour le plaisir….
Beaucoup sont d’ailleurs restées inédites jusqu’à très récemment, personne ne les a jamais vues, elles ont dormi trente cinq ans dans une boîte.

Vos années en tant que directeur artistique d’Egoïste ?

J’étais assez proche de Nicole Wisniak, une belle femme très mondaine, qui sortait beaucoup, extrêmement branchée. Elle avait décidé de créer une revue, élégante, avec des photos en noir et blanc. Nous avons rapidement collaboré avec Helmut Newton qui a accepté de réaliser plusieurs photos pour le magazine, puis avec Richard Avedon plus tard. C’était une publication vraiment sophistiquée. J’ai réalisé la maquette du premier numéro ainsi que son logo. On travaillait dans un tout petit milieu parisien, assez snob, très amusant. J’ai réalisé tous les numéros entre 1977 et 2000. Mais ça n’était pas un travail quotidien ! Comme disait Nicole Wisniak : «je sors plus souvent que mon journal». 

 

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