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14.09.2024 Paris #art

Pierre et Gilles

Rencontre avec Pierre et Gilles

Dans leur exposition Nuit électrique à la Galerie Templon, Pierre et Gilles revisitent leurs souvenirs de la mythique boîte de nuit, Le Palace. Une nouvelle génération de noctambules allant d’un marin à la joue meurtrie à des modèles et des stars du porno est capturée sur des arrière-plans nocturnes brillamment éclairés.

 

Pierre Commoy et Gilles Blanchard, nés respectivement en 1950 et 1953, ont commencé très tôt à travailler ensemble. Ils réalisent des portraits théâtralement mis en scène mêlant photographie et peinture dans leur studio situé au sous-sol de leur maison au Pré-Saint-Gervais, au nord-est de Paris. Des idées autour de la culture pop, des droits LGBTIQA+ et de l’histoire de l’art s’entrelacent dans des œuvres uniques représentant à la fois des stars et des individus anonymes.

« La création est un voyage. On se donne une direction mais il faut qu’on soit surpris par ce qu’on fait. »

Vous avez commencé à travailler ensemble à la fin des années 1970. Parlez-nous de vos débuts.

Au début, on habitait dans un petit appartement, on faisait des portraits assez pop avec des fonds de couleurs. On avait une collection de Photomatons. Petit à petit, les mises en scène avec des fleurs sont arrivées. Quand on a déménagé dans un espace plus grand à Bastille, on a travaillé pour le magazine Façade, qui était similaire à la revue Interview d’Andy Warhol, et on a fait nos premières images avec Iggy Pop. On a toujours photographié nos amis, connus ou inconnus. C’est comme une grande famille. Tout le monde sur nos photos sont des gens qu’on connaît et qui sont passés chez nous pour une après-midi. Il y a beaucoup d’humanité dans notre rapport avec les gens.

Pouvez-vous nous parler de votre processus créatif ?

Nous sommes complémentaires ; on a chacun notre rôle et on discute tout ensemble. On travaille beaucoup en amont. Le décor prend trois jours, et parfois plus d’une semaine. On tente d’être surpris quand le modèle arrive. C’est assez difficile de poser pour Pierre et Gilles. Il faut que tout soit précis et que l’expression soit naturelle. C’est un peu comme les ateliers de peintres d’autrefois où le modèle posait dans un décor. On travaille en numérique depuis dix ans et on fait un tirage sur toile. Ensuite, peindre une image, c’est deux semaines au moins. Nos œuvres sont des tableaux modernes, de notre époque, mais il y a beaucoup de classicisme.

Lequel vient en premier ? Le personnage ou le thème ?

C’est souvent le personnage. Le thème, on l’a dans la tête. C’est comme si on habillait le personnage, sur mesure. Si le modèle ne peut pas venir, c’est un grand problème car on ne peut pas trouver un autre qui le remplacerait ; il faudrait à ce moment-là retravailler le décor d’une autre façon. Ça nous est déjà arrivé.

À l’époque, vos images ont été projetées sur les murs du Palace. Vous en avez tiré l’inspiration pour créer votre nouvelle série, Nuit électrique. Pouvez-vous nous parler des inspirations qu’il y a derrière ?

Nous avions envie de parler de la nuit en général ; on aurait pu choisir Pigalle ou d’autres endroits du même type dans toutes les grandes villes. Le thème, c’est la fête, mais c’est aussi une mélancolie, une certaine tristesse. Le Palace était une école importante pour nous. On était une petite bande ; il y avait Christian Louboutin, Serge Gainsbourg, Eva Ionesco, Jean Paul Gaultier, Thierry Mugler… C’était l’occasion de nous confronter avec plein de gens de générations et de sexualités différentes – quelque chose de très beau. Les tenues que les uns et les autres portaient, c’était incroyable ! On n’avait pas envie de reconstituer Le Palace mais parler de la nuit, un moment particulier où des gens se révèlent.

Comment avez-vous abordé les décors de vos œuvres ?

On voulait faire quelque chose de très festif, un peu cru et fluo. On a acheté beaucoup de lumières au moment de Noël – des guirlandes, des ampoules. Puis on a commandé des néons en plastique en Chine. Avant, on faisait des corps avec des fleurs, des plantes. Là, on a procédé avec des éléments électriques.

Avez-vous regardé des anciennes photos de l’époque ?

Non, non, c’est un travail de mémoire. Chaque modèle nous inspire quelque chose de différent. Par exemple, Lukas Ionesco, le fils d’Eva Ionesco, et le mannequin Nassim Guizani [Over the Rainbow (Nassim Guizani et Lukas Ionesco), 2023] ; l’actrice porno trans Allanah Starr [Santa Allanah, 2024]. Ce sont les personnalités de la nuit d’aujourd’hui.

Parlez-nous de votre œuvre U=U avec Yassin Chekkouh…

C’est un garçon qu’on aime beaucoup, qui est séropositif, militant et très impliqué contre la sérophobie. Maintenant, quand on est séropositif, c’est comme si on était normal ; avec le traitement, il n’y a plus d’inquiétude à avoir. Mais nous avions du mal à voir comment l’exprimer. Nous avions commencé à développer une première idée, mais nous l’avons vite abandonnée. Quelques mois après, en y revenant, nous avons trouvé la bonne façon de faire.

Vous avez reçu beaucoup de courrier de la communauté gay. Qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ?

Nous avons beaucoup apporté au milieu. De tous les pays nous recevons des témoignages, même de Chine, des jeunes qui disent que nos images les ont aidés à faire leur coming-out, à s’accepter, car elles donnent une image positive de l’homosexualité. Vraiment, c’est un beau cadeau pour nous.

Il y a de nombreuses références à la religion dans votre travail, comme Saint Sébastien…

La religion est quelque chose que nous avons de prime abord rejeté et qu’on a retrouvé par la suite après un voyage dans le sud de l’Inde, une région qui est catholique. Nous avons été très surpris en voyant dans les villages de petites statues de Saint Sébastien – très colorées, très naïves, très jolies. Ça nous a inspirés pour intégrer les saints dans notre travail avec notre vision personnelle. Même avec U=U, on trouve un côté Saint Sébastien.

Votre autoportrait, Vive La Retraite, vous montre en vacances. Vous vous êtes inspirés des manifestations contre la réforme des retraites ?

On est en France ; les gens crient de tous les côtés. Ça nous a donné l’idée de traiter ce sujet de manière drôle et décalée. On aime bien faire des choses qui font sourire et on voulait se mettre en scène, de façon humoristique, comme dans les cartes postales des années 1970.

Vous avez fait un portrait d’Isabelle Huppert en Mary Stuart, reine d’Écosse, en référence à son rôle dans Mary Said What She Said, la production de Robert Wilson au Théâtre de la Ville l’année dernière. Comment est-ce arrivé ?

Elle nous a invité à voir sa pièce et après nous sommes allés la saluer dans sa loge et on a discuté. Elle avait assez envie qu’on fasse une image et nous aussi. On voulait utiliser le costume de la pièce qui était tellement beau et on a imaginé le décor à notre façon. C’était la troisième fois qu’on travaillait ensemble. C’était formidable ! C’est une perfectionniste dans le moindre détail. Elle aime se faire photographier, poser et elle veut toujours aller plus loin.

Qu’est-ce qui a changé pour vous au cours des dernières années ?

Il y avait plus de liberté auparavant. On a perdu certaines choses et on en a gagné d’autres. Désormais, il faut que tout soit très correct et rangé.

Bien avant le mariage pour tous, vous étiez engagés dans cette cause avec votre œuvre Les Mariés (1992)…

On est d’ailleurs mariés ; on l’a fait il n’y a pas très longtemps à la mairie. Ce n’était pas notre rêve quand nous étions jeunes. Nous sommes de l’époque 1968, de la liberté sexuelle, avant le SIDA.

Quelles idées souhaitez-vous explorer aujourd’hui après Nuit électrique ?

La nudité et retrouver des décors assez naturels, retourner à nos débuts, à Adam et Eve [Eva Ionesco et Kévin Luzac, 1981]. On veut travailler sur le corps car on ne le voit plus vraiment dans les foires internationales alors que ça fait partie de l’histoire de l’art. La création est un voyage. On se donne une direction mais il faut qu’on soit surpris par ce qu’on fait. La vie est constituée de surprises. Tout ne devrait pas être planifié à l’avance, c’est trop triste.

 

Propos recueillis par Anna Sansom

Photos : Ayka Lux

 

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