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03.01.2022 #art

Sonia Perrin

Paris – Madagascar

L’art peut être porteur de messages d’espoir, et le contact avec les œuvres peut ouvrir les consciences, donner confiance en soi.

Entre les deux, son cœur balance. Qu’à cela ne tienne, la curatrice Sonia Perrin ne choisira pas entre ses deux amours : celui qu’elle porte pour l’art, – la scène contemporaine africaine notamment – et son engagement social et solidaire pour les enfants de Madagascar… Elle combine ainsi avec brio ses passions et ses champs de compétences, qu’elle met au service de l’association à but non lucratif Azé, dont elle est la fondatrice. À travers cet organisme, crée en 2017 à Paris, Sonia Perrin œuvre activement à la scolarisation et à l’accès à l’éducation de plusieurs centaines d’enfants de Tuléar, dans le Sud-Ouest de Madagascar.

Votre rencontre avec l’Afrique s’est faite au gré d’expériences professionnelles et personnelles ainsi que des voyages qui vous ont conduit à maintes reprises sur le continent. Une rencontre vous a cependant particulièrement marquée : celle avec Madagascar. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quelle relation entretenez-vous avec cette île?

En effet, j’ai eu la chance de voyager plusieurs fois sur le continent africain mais j’ai une relation spéciale avec Madagascar car c’est à Madagascar que j’ai été pour la première fois marraine d’enfant il y a plus de 20 ans. Mes rencontres m’ont permis de voyager sur la grande île où j’ai été subjuguée par la beauté et la diversité des paysages et les sourires des Malgaches. C’est un pays très attachant qui fait partie du continent africain mais qui a son histoire indépendante du continent avec sa double culture africaine et indonésienne. Madagascar est la quatrième plus grande île au monde mais le pays reste très à la traine sur le plan de son développement socio-économique. J’aime beaucoup ce qu’a écrit récemment l’artiste Joël Andrianomearisoa dans une sculpture installée sur la place de l’Hôtel de Ville de Tananarive qui est cette phrase « ici nous portons tous les rêves du monde ». Voilà un exemple concret de la façon dont l’art peut être porteur de messages d’espoir, comment le contact avec les œuvres d’art peut réveiller les rêves et les désirs, ouvrir les consciences, donner confiance en soi aussi.

 

Madagascar compte pas loin de 28 millions d’habitants dont 50% ont moins de 25 ans. C’est au contact de cette jeunesse que j’ai décidé de faire un pas de plus et de créer une association pour soutenir l’accès à l’éducation. Je suis convaincue que seule l’éducation permet d’accéder à une vie meilleure et à devenir des citoyens responsables. J’ai comme mantra cette citation de Mandela : « Education is the most powerful weapon which you can use to change the world » (L’éducation est l’arme la plus puissante que vous pouvez utiliser pour changer le monde).

C’est justement Madagascar qui vous a inspiré la création de l’association Azé, pour laquelle vous vous mobilisez. Parlez-nous de la genèse de cette association, des objectifs qu’elle défend et des actions qu’elle mène. 

Lors de mon premier voyage à Madagascar, j’étais avec André Magnin qui m’a emmenée dans le grand sud, à Androka, là ou la population vit actuellement une dramatique crise de l’eau et alimentaire liée notamment au réchauffement climatique. C’est dans ce village du grand sud que vit la famille Efiaimbelo issue de l’ethnie Mahafaly. Les Efiaimbelo sont des sculpteurs d’Aloalo, ces sculptures traditionnelles funéraires étaient à l’origine érigées pour honorer un défunt. L’ancêtre de la famille a été le premier a moderniser les Aloalo en les peignant de couleurs vives et en diversifiant les scènes représentées sur le plateau de la sculpture. Chaque Aloalo représente une situation inspirée de la vie quotidienne, d’un conte ou d’une légende dont les savoirs sont partagés par le clan depuis le XVIIIème siècle. Le poteau représente une succession de huit motifs étagés (8 étant le chiffre de la plénitude). Les sept premiers motifs géométriques symbolisent un front de zébu et un chien assoupi. Le huitième motif est une pleine lune qui évoque la vie et l’éternité.

 

Avec André Magnin et à travers Azé, nous avons déjà organisé plusieurs expositions vente d’Aloalo qui permettent de soutenir la famille Efiaimbelo. C’est donc au contact des enfants de cette famille que chemin faisant est née l’association Azé qui soutient aujourd’hui une école primaire qui accueille 250 enfants à Tuléar et suit la scolarité des jeunes qui vont jusqu’au bac. J’ai également créé pendant la pandémie une bourse d’études pour accompagner des étudiants dans leur parcours supérieur. Nous avons accueilli cette rentrée notre troisième étudiant bousier.

Vous parvenez à créer des passerelles entre votre passion pour l’art contemporain africain (entre autres) et votre engagement bénévole, social et solidaire. Comment ces liens se sont-ils tissés ?  

J’ai étudié l’histoire et l’art et ai travaillé plus de 25 ans pour des institutions culturelles, c’est donc tout naturellement que j’ai associé mon cœur de compétences, mon réseau et mon amour pour la création à mon aventure caritative.

 

Nous lançons aujourd’hui dans la Galerie Magnin-A le vin de Malbec Lagrézette de ma SO qui a été élaboré avec l’aide de l’œnologue Michel Roland par le Château Lagrézette au profit de l’association Azé. Je suis très fière et heureuse de ce nouveau projet pour lequel j’ai commandé le dessin de l’étiquette à l’artiste Malala Andrialavidrazana. Malala a utilisé une reproduction de la figure de Marguerite de Massaut, première propriétaire du Domaine viticole au XVème siècle, qu’elle a enveloppée dans un nuage d’une flore qui rappelle à la fois Madagascar mais aussi les arômes que l’on retrouve dans le vin.

 

Ce lancement est aussi l’occasion de découvrir ou de redécouvrir l’œuvre de Marcel Miracle, un artiste, poète et géologue qui est né à Madagascar où il a été initié à la géomancie. Son œuvre associe le dessin et l’écrit souvent sous forme de collages qui composent une sorte de cosmogonie personnelle. J’aime beaucoup ces mots de l’artiste : « Rien n’existe qui ne doive son existence au regard ».

Envisagez-vous de nouvelles collaborations avec des artistes de la scène africaine contemporaine ?  

Nous venons de lancer la semaine dernière avec les Éditions du Chêne le livre « Oh! AfricArt » qui est la continuité de l’émission de télévision du même nom pour laquelle j’étais directrice artistique et éditoriale et qui a été diffusée sur France 2 et TV5 Monde. Le livre met en lumière la foisonnante création artistique du continent africain à travers le portrait de 52 artistes dans une sélection panafricaine d’artistes de notoriété, de génération, de narration et de pratiques plastiques diverses. La sélection donne à voir et à lire la création foisonnante, si dynamique et plurielle d’un continent en mouvement, qui écrit ses propres récits et qui est un acteur majeur de la scène artistique mondiale. Je souhaite déjà un grand succès à cet ouvrage. J’ai appris la semaine dernière d’ailleurs en discutant avec l’artiste Amadou Sanogo qu’il avait découvert l’émission « Oh !AfricArt » depuis chez lui à Bamako au Mali. C’est une grande joie que le programme soit vu sur le continent africain. Une des artistes du programme a trouvé une galerie grâce à l’émission et ça c’est une grande joie aussi.

 

Je ne sais pas si la pandémie nous permettra d’ouvrir une troisième édition de DaDa, un lieu d’exposition proche de la place Jemaâ el-Fna à Marrakech où j’ai exposé les artistes Emeka Ogboh, Mohamed El Baz et Mo Baala. Puis à l’invitation de Mohamed Bourouissa nous avons présenté Gaëlle Choisne, Neïla Czermak Ichti, Rayane Mcirdi et Sara Sadik. Nous y avons vécu des moments magnifiques grâce à Touria El Glaoui qui a créé la foire 1-54 et a très largement contribué à valoriser la création du continent et installer un marché pour les artistes contemporains d’Afrique et de sa diaspora.

Interview : Houda Outarahout

Photos : Michaël Huard

www.aze-asso.org

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