fbpx
11.05.2015 #art

Mark Alizart

Pop théologie d’un esprit créatif

Dans la fête, il y a le tout de la vie. La fin est triste, le lendemain est une calamité, la préparation est excitante…

Philosophe, artiste, conseiller, directeur du prix LVMH, auteur de « Pop Théologie »… Mark Alizart est un générateur d’ambiance culturelle immanquable de sa génération. Saywho s’est intéressé à sa vision de l’art, de la fête, de la mondanité et la place que tiennent ces éléments dans la Pop Culture, sujet qui l’anime. Rencontre dans l’intimité de celui qui se décrit lui-même comme un « ours », et qui ne quitte son appartement au coeur de Paris que lorsqu’il a une très bonne raison…

Vous avez été chargé de programmation des Revues Parlées, directeur adjoint du Palais de Tokyo, conseiller de Frédéric Mitterrand, et vous dirigez désormais le prix LVMH… Comment faites-vous le lien entre tout cela?

Le point commun à tout ça, c’est l’idée de création : l’art contemporain, la philosophie, la mode… J’ai toujours été curieux de la création et des créateurs.

La Pop Culture vous intéresse, indubitablement. Diriez-vous que vous en êtes une figure?

Non… Mon côté pop vient seulement du fait que je sors beaucoup, mais je sors d’abord parce que je ne fais pas de séparation, dans ma vie, entre la «pop» et mon métier. Tous les gens que je croise la nuit, je les croise le jour.

Selon vous, la mondanité a-t-elle un rôle à jouer dans la Pop Culture?

Les endroits où l’on se retrouve entre artistes, créateurs, intellectuels, ont toujours existé. Cela fait partie du processus créatif. Pour ma part, je sors rarement en dehors de ces moments où je vais à la rencontre des créateurs. Mes intimes vous diraient même que je suis un ours!

Et la fête?

La fête fait partie de la vie, depuis que l’homme est homme. Georges Bataille a parlé de la nécessité dans laquelle toute société se trouve d’organiser son excès. La fête est un moment de renversement des valeurs, ce moment où la consumation des biens devient une chose positive. Après, je peux tout à fait comprendre que cette consumation paraisse obscène à certaines personnes. En partie elle l’est. Mais ça fait aussi partie de la vie. Dans la fête, il y a le tout de la vie. Le début est excitant, la fin est triste, le lendemain est une calamité, et pendant la fête même, il ne se passe souvent rien! La fête est d’une certaine manière un rendez-vous manqué avec elle-même. C’est Fabrice à Waterloo. En ce sens là aussi, c’est une expérience philosophique. Elle nous apprend qu’on ne coïncide jamais tout à fait avec soi-même.

Êtes-vous un homme de réseau?

Je ne pense pas. Mais je suis un homme de fidélité. J’ai travaillé dans beaucoup de milieux différents et j’ai gardé à chaque fois un lien fort avec chacun. Au demeurant, les gens avec lesquels je m’attache sont eux-mêmes des gens inclassables, des gens très libres, voire un peu chaotiques. J’aime les gens qui sont dans l’excès, ça me stimule intellectuellement, ça m’oblige à sortir de moi-même.

D’où vous vient votre attrait pour le monde de l’art?

Je ne sais pas, de mon nom peut-être! Je ne suis pas né dans ce monde. Je me rappelle surtout que j’ai été intrigué d’abord. Comme j’ai un esprit curieux et mal tourné, j’ai voulu comprendre. L’art contemporain est un monde très fascinant de l’extérieur, mais un peu mystérieux, un peu intimidant aussi. En essayant de pénétrer dans ses arcanes, j’ai essayé de comprendre ce qu’il disait de nous, d’aujourd’hui, de moi, comme on décrypte des hiéroglyphes. C’est ça qui a guidé toute ma vie. Cette curiosité pour arriver à comprendre ce qu’on était et ce qu’on vivait.

«Pop Théologie» est votre dernier livre en date. Que raconte-t-il?

 « Pop Théologie » est justement ma dernière tentative en date pour répondre à cette vaste question! En un mot, j’ai voulu dire que le monde contemporain, et notamment sa culture, son art, loin d’être la queue de comète d’un long processus de désenchantement qui aurait commencé au dix-neuvième siècle, voire avant, à la Renaissance, comme le disent trop de gens, est en réalité au point d’arrivée d’une histoire extrêmement riche et profonde, qui commence avec la Réforme, se poursuit avec le Romantisme et se prolonge, de nos jours sous différentes formes. De fait, nous sommes les héritiers de révolutions scientifiques sans égales dans l’histoire de l’humanité (comme la révolution informatique) et notre génération va être témoin d’événements d’une portée inédite (comme l’invention de l’intelligence artificielle).

Quel regard portez-vous sur la mode et ses créateurs?

Travailler dans la mode m’a permis de rencontrer d’autres genres d’artistes. Ce sont des gens qui sont toujours sur la brèche, dont la charge de travail est insoupçonnée. Ils portent sur leurs épaules des enjeux colossaux qui reposent sur environ cinq minutes de défilé, deux fois par saison. Une présentation de mode, c’est extraordinaire, c’est comme un opéra compressé, un temps accéléré à l’extrême, un geste zen qui produire à la fin quelque chose d’impalpable, de presque dérisoire, sur lequel tout le succès ou l’échec d’une industrie va pourtant reposer: le sentiment de goût, de ce qui est à la mode ou pas. Les théologiens appelaient ça la grâce, jadis. Je pense que c’en est une version laïcisée (avec toutes les variantes des débats sur le « prix » de la grâce). La mode, c’est très pop théologique!

Propos recueillis par Sabina Socol / Photos Jean Picon

Pop théologie, de Mark Alizart

More Interviews
Tout voir