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19.01.2024 Maison & Objet #design

Mathieu Lehanneur

Mathieu Lehanneur – Designer de l’année au salon Maison&Objet

2024 sera mémorable pour Mathieu Lehanneur. Il a été sacré Designer de l’année au salon Maison&Objet et a conçu la torche et la vasque pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. C’est également l’année où Lehanneur fête ses 50 ans – au mois d’août –, un âge où de nombreuses personnes réfléchissent à ce qu’elles ont accompli dans leur vie.

Mathieu Lehanneur depuis 1974 : c’est la signalétique qui accueille les visiteurs à l’entrée de la Factory, le vaste atelier à Ivry-sur-Seine où Lehanneur s’est installé l’année dernière. Le bâtiment en briques rouges de 800 mètres carrés est un laboratoire qui lui permet de contrôler chaque étape du processus de conception et de production. Lehanneur a créé sa marque éponyme en 2018, six ans après s’être associé à Isabela Rennó Braga, une femme d’affaires brésilienne qui gère l’aspect opérationnel et financier de l’entreprise. La prochaine étape de sa carrière sera d’ouvrir une agence à New York. Plus tard, cette année.

C’est à la Factory que Mathieu Lehanneur a conçu et réalisé son installation Outonomy pour Maison&Objet. Il s’agit d’une cabane d’un jaune criard, le genre d’habitat que l’on pourrait rencontrer au milieu d’une forêt et qui présente un mélange d’anciens et de nouveaux projets. Dehors, des poissons rouges nagent dans une petite mare – un clin d’œil à l’activité de chasse et de cueillette de nos ancêtres des cavernes. À l’intérieur, la sculpture murale circulaire Pocket Ocean imite les vagues de l’océan tandis que la Flamme Permanente dorée évoque les flammes d’un feu. Les créations high tech côtoient des meubles et des luminaires organiques dans une réflexion sur le mariage paradoxal de la technologie et de la nature.

«Il y a un vrai besoin d’un retour aux sources. Donc, l’idée est de commencer à lui donner forme.»

Le nom de votre installation, Outonomy, est un jeu de mots entre outdoors et autonomy. Est-ce que vous pouvez nous parler des idées sur lesquelles vous avez réfléchi ?

Mathieu Lehanneur:

Aujourd’hui, un peu partout sur la planète, beaucoup commencent à se poser des questions sur comment on vit. Est-ce qu’on veut continuer à vivre dans de grandes villes au milieu de la densité, de la pollution, du bruit ? Il y a un vrai besoin d’un retour aux sources. Donc, l’idée est de commencer à lui donner forme. Et la question que ce projet propose, c’est : est-ce que vous êtes prêts à changer de vie ? Une fois qu’on se pose la question de vivre en autonomie, on est plus proche de vivre dans une caverne ou une grotte, là d’où nous venons tous. Mais à la fin, nos besoins fondamentaux n’ont pas changé. J’ai besoin d’énergie, d’avoir chaud, d’être protégé, d’avoir une activité et de me nourrir. Et la technologie est bien plus amène de pouvoir nous fournir ces services. On a dessiné une éolienne, placée sur le toit, pour alimenter notre réfrigérateur. On utilise également le toit pour faire pousser des plantes et des végétaux. On a intégré un punching ball à l’extérieur. Je me suis dit que j’allais en avoir besoin, ainsi que ma femme et mes enfants, pour faire un peu d’exercice. Comme dans notre maison actuelle. Presque toute l’installation est faite en bois ; les murs, par exemple, sont créés avec une technique traditionnelle, sous la forme de tuiles en bois qui permettent d’avoir une très bonne isolation.

L’idée est de pouvoir mélanger divers éléments – certains sont technologiques comme le purificateur d’air Andrea (2007), d’autres non – pour, paradoxalement, revenir au plus proche de ce que nous sommes et de ce dont nous avons besoin. Nous avons installé un drone en aluminium pour filmer et surveiller l’environnement, comme une biche au petit matin que j’aurais raté car je dormirais. Lorsque nous étions des hommes et des femmes préhistoriques, nous réalisions des peintures rupestres de nos chasses sur le mur. Le drone parle du besoin et de la pulsion de voir la nature environnante, d’être en contact et accepté par elle.

 

Avez-vous vous-même une maison à la campagne ?

Mathieu Lehanneur:

Oui, j’ai une vielle maison à la campagne, dans le nord de Paris, près de Compiègne, dans laquelle il n’y a pas beaucoup de technologie. Donc je pense prendre quelques éléments ici et les installer là-bas.

Aujourd’hui, je suis à Paris. Mais je n’ai pas besoin d’y être tout le temps. Je peux travailler de n’importe où. J’ai seulement besoin d’un crayon, d’une feuille et d’une connexion. Si je devais aller vivre ailleurs, je pense que je me ferais une habitation un peu comme Outonomy. Aujourd’hui, on a cette chance de pouvoir inventer une autre vie sans tout abandonner, en restant en contact avec le reste du monde, en renouant des liens privilégiés avec la nature. J’aurais pu appeler le projet Outarcy, qui signifie vivre totalement isolé, sans aucun contact. Mais j’ai besoin des autres même si je me donne plus de liberté.

 

Parlez-nous des nouvelles pièces de mobilier et de lumière et l’esthétique globale.


Mathieu Lehanneur:

Pour l’extérieur, nous avons créé ces deux fauteuils en forme de cubes, Square Sun. Pour l’intérieur, nous avons réalisé cette nouvelle chaise, Hug Chair, avec ce piètement en bois sculpté, très simple. Ça semble flotter et se développer, comme un végétal, [grâce à son dos en velours jaune de forme organique]. Il y a cette lampe, Guernica, qu’on a développé très récemment. On l’a dessiné d’après le scan 3D d’une fleur, un iris, qu’on a ensuite modifié sur ordinateur et rélisé en céramique. Je voulais que l’ensemble soit monochrome à l’extérieur, une sorte de colour block très intense, comme si ce jaune était capable de nous impulser de l’énergie. À l’intérieur, je voulais un espace beaucoup plus neutre, plus doux, moins énergétique, où on retrouve des formes organiques, enveloppantes, proches de ce que nous sommes comme êtres humains et biologiques. Et puis ramener quelques éléments de nature réinterprétés.

La table en verre avec les spots en feuille d’or qui repose sur de grands pieds en verre a un rapport avec la collection de mobilier Inverted Gravity qu’on a découvert à la Design Miami/Basel il y a quelques années. Pouvez-vous nous parler de l’évolution de ces nouvelles pièces ?

Mathieu Lehanneur:

À Bâle, les pièces combinaient le verre soufflé et le marbre. Ici, la série est entièrement en verre et nous avons rajouté des spots à la feuille d’or. L’idée était que la structure de la table disparaisse presque et que les spots semblent flotter. Les pieds sont de très grandes pièces en verre soufflé qui, avec la bonne épaisseur, sont très résistantes. Nous travaillons avec des souffleurs de verre et réceptionnons tous les éléments à la Factory où nous effectuons la finition à la feuille d’or et assemblons les pièces.

Quand avez-vous déménagé votre atelier à la Factory ? Et en quoi cela a-t-il impacté votre façon de travailler ?

Mathieu Lehanneur:

Nous nous y sommes installés progressivement, il y a près d’un an. C’est un vieux bâtiment d’EDF datant de 1900 qui a été entièrement réhabilité. La Factory nous permet de partir de l’idée de départ jusqu’à la pièce finie, mise en caisse et expédiée chez le client. Ça veut dire qu’on ne fait plus aucun compromis ; on contrôle tout, à chaque étape. Lorsque vous travaillez pour une marque, des choix et des décisions vont être pris parfois par d’autres personnes. Aujourd’hui, nous fonctionnons comme une marque et plus comme un designer qui travaille pour d’autres. Parfois, nous devons sous-traiter certains composants mais tout est vérifié, assemblé, emballé et expédié depuis la Factory. C’est plus de responsabilités et plus de risques, mais cela nous donne aussi beaucoup plus de liberté et de certitude car ce que nous livrons correspond exactement à ce que nous voulions faire.

Ça donne beaucoup plus de pouvoir que de collaborer avec une marque…

Mathieu Lehanneur:

Oui. Ce qui se passe très souvent, même si le designer fait un très bon travail, c’est qu’ensuite ça passe par le marketing, la technique, la distribution. Et de toutes petites modifications peuvent subvenir. Parfois, c’est un millimétré qui va changer, parfois une petite vis est ajoutée, une légère teinte est modifiée, parfois c’est la façon de raconter le projet qui est chamboulée. C’est comme si j’étais un musicien, que je crée une chanson, et puis finalement la maison de disques décide d’enlever dix secondes à la fin du morceau. C’est pas grand-chose, dix secondes, sauf qu’en fait pour le musicien, pour l’artiste, ces dix secondes sont très importantes. Et donc la meilleure façon d’être sûr que les dix secondes seront toujours là et que la chanson sera enregistrée comme on le souhaite, c’est de le faire soi-même.

 

Quelle est la réaction de vos clients ?

Mathieu Lehanneur:

Plutôt bonne. Après, les clients qui auraient voulu qu’on travaille pour eux, on va leur dire : « Non, on ne le fait plus car on le fait par nous-mêmes. » Comme dans cette installation Outonomy, dans ma façon de travailler, je construis aussi mon autonomie. Aujourd’hui, ce que j’ai pu réaliser avec la marque à la Factory, je n’aurais pas pu le faire il y a dix ans. Parce que c’est une structure qui est lourde, c’est un gros investissement, avec des risques importants. Faire tout soi-même englobe un processus très long : on fait deux prototypes, deux tests, puis on recommence parce qu’on n’est pas satisfait, et on refait d’autres prototypes… Je préfère faire moins de choses mais les maîtriser absolument plutôt qu’essayer de dessiner pour tout le monde sans avoir le contrôle sur toute la chaîne.

 

Vous avez été choisi, après concours, pour la conception de la torche et de la vasque pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Quelle est l’inspiration pour la torche ?

Mathieu Lehanneur:

Dans le cahier des charges de 2024, il y avait très peu d’éléments, ce qui laisse une grande liberté aux designers pour faire leur propre interprétation. Je me suis inspiré de plusieurs choses en particulier, la première étant l’égalité, les Jeux Olympiques et les Jeux Paralympiques étant mis sur le même plan. Sans compter l’égalité parfaite entre athlètes hommes et athlètes femmes. Je voulais vraiment me nourrir de cette symbolique et l’exprimer dans la torche par un jeu de symétrie entre la partie basse et la partie haute. Le deuxième élément, c’est qu’on est à Paris. Donc je voulais insuffler aussi un peu de l’esprit de Paris dans la torche. J’aurais pu m’inspirer de la Tour Eiffel. Mais j’ai trouvé ça un peu trop évident. Donc je me suis plutôt tourné vers la Seine qui va être le théâtre de la cérémonie d’ouverture. Sur la partie basse de la torche, on trouve des ondulations comme si la torche se reflétait même dans le fleuve. L’image 3D que j’ai présenté en phase concours et la torche finale sont absolument identiques. Mais on a eu beaucoup, beaucoup de challenges à résoudre. Une torche est un objet très technique, très technologique même, parce qu’il y a un système d’entretien de la flamme à l’intérieur qui est très complexe ; même en cas d’orage, de vent tempétueux ou de pluie diluvienne, la flamme ne doit pas s’éteindre.

 

Qu’est-ce que ça représente pour vous de vous attaquer à quelque chose d’aussi symbolique ?

Mathieu Lehanneur:

La torche olympique, c’est un objet rêvé pour un designer parce que c’est un objet très historique, très symbolique, très technique, qui doit véhiculer un message et des valeurs. Et je me suis même dit, avant même que le concours soit lancé, que je ferais ma propre proposition de torche. Même si on ne me l’avait pas demandé, même si je n’avais pas été présélectionné, je l’aurais fait pour moi sur Instagram parce que c’est un objet qui concentre beaucoup de thématiques qui m’intéressent.

 

https://www.maison-objet.com/en/paris

https://www.mathieulehanneur.fr/works

Interview par Anna Sanson

Photos Maison & Objet OUTONOMY Installation – courtesy of Mathieu Lehanneur

Photos at Factory – Ayka LUX

Photos Olympic Torch – Felipe Ribon

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