fbpx
01.03.2022 #mode

Estelle Pigault

Paradise Garage Store

« On fonctionne au coup de cœur. Les designers que l’on stocke, on les a tous rencontrés, on connaît leur histoire »

Estelle Pigault incarne sans aucun doute l’expression « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ». Son Paradise Garage Store, ouvert en juin 2020 dans le contexte qu’on connaît, reflète un constat alarmant : la mode masculine de créateur est sous-représentée à Paris. De l’incapacité à trouver une tenue originale (et colorée !) pour Elie, son mari et associé à l’approche de leur mariage, le couple a décidé de renverser la balance et de créer LE lieu où seront stockés les jeunes créateurs les plus prometteurs. Une sélection pointue et souvent introuvable ailleurs en Europe qui fait l’une des forces du Paradise Garage Store, tout comme l’influence de sa co-fondatrice aux deux cent mille abonnés sur Instagram. @estellechemouny ou l’influence au service de la création.

D’où t’est venue l’idée de créer Paradise Garage Store ?

L’idée est venue quand Elie et moi nous sommes mariés. On lui cherchait une tenue autre qu’un costume pour le mariage, on voulait quelque chose de coloré et différent. On a fait tout le tour de Paris pour trouver des tenues et au final on est rentrés bredouille. On avait repéré pas mal de designers qu’on aimait bien sur Instagram et au bout d’un moment on s’est rendus compte qu’ils n’étaient pas du tout stockés ni en France ni en Europe. Et ça a fait clic. À Paris, on avait ce sentiment qu’il n’y avait pas de propositions pour des choses différentes et colorées.

La couleur, c’est vraiment le critère essentiel dans votre sélection.

Même dans ma vie de tous les jours, quand je porte du noir c’est que ça ne va pas. Si j’en porte, il faut que ce soit du cuir ou des designs vraiment poussés. C’est vrai qu’à Paris, les gens s’habillent beaucoup en noir, gris, beige. C’est beau, mais c’est un style dans lequel on ne se reconnait pas.

Ça casse un peu avec l’image de « la Parisienne ».

Voilà, j’ai amené l’image de la Parisienne colorée ! La Parisienne du Sud !

Tu viens du Sud ?

De Sète ! J’ai grandi dans les années 90 autour de femmes aux tenues très bariolées, très Versace ! Personne ne s’habillait en noir.

Tu parles des femmes, pourtant la boutique se concentre essentiellement sur l’homme.

On s’est dit qu’aujourd’hui c’est facile pour une femme d’aller s’habiller. Les femmes ont ce truc d’aller chercher, que ce soit dans le vintage ou ailleurs, et au final il y a du choix. Pour l’homme, il n’y a pas ça. Lorsqu’on a ouvert la boutique, on la présentée comme un multi-marques pour hommes mais notre clientèle est très féminine ! Je ne sais pas si c’est « grâce » à mon Instagram – j’ai beaucoup de femmes qui me suivent et qui viennent acheter ce que je porte – mais c’est vrai qu’on vend essentiellement à des femmes.

Ça rejoint le chemin que prend la mode où les lignes entre le vestiaire masculin et le vestiaire féminin commencent à s’effacer.

Pour moi il n’y a jamais eu de séparation. Quand j’étais petite, j’allais davantage dans la garde-robe de mon père que celle de ma mère. Je préférais les pièces masculines, je transformais ses vestes et ses chemises en robes, je trouvais ça plus cool !

Peux-tu m’expliquer le nom de la boutique, Paradise Garage Store ?

C’est l’idée d’Elie. C’est une référence à la première boutique de Vivienne Westwood, sur King’s Road, à Londres dans les années 1970. Elle avait ouvert cette boutique pour son copain de l’époque, Malcolm McLaren. C’était une boutique punk, très colorée, avec beaucoup d’imprimés… Par la suite c’est devenu une boîte de nuit à New York où les gens avaient des styles fous. Ça marchait très bien avec notre idée de la mode !

Ta sélection de créateurs est très pointue. Peux-tu nous expliquer comment tu procèdes ?

Au départ c’est vraiment une image ou une couleur qui pouvait me sauter au yeux. Dans un second temps je m’intéresse à la fabrication, la provenance. On voit souvent des super designs et on se rend compte des conditions dans lesquelles ils sont produits, et on ne veut pas fonctionner comme ça. Les designers que l’on stocke, on les a tous rencontrés, on connaît leur histoire, ce sont devenus des amis. On ne vend pas que des sapes, on vend aussi une histoire. Ce sont des marques qui sont pour la plupart très peu connues, et elles n’ont pas les moyens de faire de la publicité, alors on agit aussi pour faire leur promotion. On les choisit vraiment au coup de cœur. C’est aussi arrivé que j’aime des collections mais que le courant ne passe pas avec les créateurs, et dans ce cas-là ça ne peut pas marcher.

Tu as une vraie relation avec vos créateurs.

Oui, c’est important. Ce sont tous des bosseurs, et ils rencontrent tous leurs galères. Beaucoup des pièces sont faites à la main. La plupart de nos créateurs sont africains, et les collections sont produites en Afrique. Au final, on vend un univers.

Qui sont les créateurs que tu as rentrés récemment en boutique ?

Le plus récent est Bluemarble, que j’adore et que j’ai découvert il y a un moment. On n’avait pas acheté la première saison, mais je voulais absolument qu’on ait la deuxième. J’aime beaucoup le personnage : le mec est surfeur, il s’est lancé dans le prêt-à-porter de luxe tout en restant super cool. Ça se porte avec tout, et avec décontraction. J’aime vraiment son univers. On a aussi un super designer japonais qui utilise des vieux stocks de kimonos et qui les retravaille à Paris. Il y a également Colrs Baby, un jeune de vingt ans qui crée ses collections à partir de foulards vintage. Toujours des créatifs avec une idée, souvent du jamais vu.

Quel était ton background avant de créer ta boutique ?

J’ai commencé vendeuse à Londres dans un multi-marques, et comme j’étais très mauvaise mais que j’avais de bonnes idées et que j’aimais découvrir de nouvelles marques on a commencé à m’envoyer dans des salons comme Premiere Vision et Who’s Next pour dénicher de nouveaux designers. Après quelques années, j’ai voulu travailler à mon compte et je suis devenue « personal stylist ». J’ai fait ça pendant cinq ans et puis je me suis installée à Paris.

Qu’est-ce qui a motivé ton choix d’ouvrir la boutique à Paris et non pas à Londres où la mode masculine est beaucoup plus forte ?

Parce qu’il y a déjà tout à Londres ! Quand je suis arrivée à Paris, je m’ennuyais un peu. À Londres, j’allais chez Selfridges juste pour trouver l’inspiration. Ici sur l’Avenue Montaigne ou la Rue Saint-Honoré, ce ne sont que des grosses marques – c’est répétitif ! Il y a peu de boutiques qui présentent autre chose, alors qu’à Londres, les nouveaux designers sont mis en avant. En France, les personnes qui ont de l’argent veulent qu’on voie que leurs vêtements coûtent cher, et ça passe souvent pas de gros logos…

La boutique est installée Rue de la Sourdière, juste au croisement de la Rue Saint-Honoré. Qu’est-ce qui a motivé le choix de cette adresse ?

Le grand escalier en colimaçon a été le facteur déterminant ! Quand on est rentrés pour la première fois, c’était l’atelier d’une dame qui faisait des sacs et des accessoires en cuir à la commande. C’était très marron, avec de la moquette… Mais quand on a vu l’escalier, on a adoré. On a aussi beaucoup aimé l’enchaînement des pièces, un peu comme des petites grottes.

Toi qui es très suivie sur les réseaux sociaux, en quoi est-ce important d’avoir un lieu physique comme ta boutique pour faire l’expérience de la mode ?

Je sais que quand j’achète en ligne, c’est que je connais la qualité de la marque. Le problème que rencontrent les marques que l’on stocke, c’est qu’elles ne sont pas connues du grand public. En ligne, on aurait aucune idée du toucher, du tomber des vêtements. Je voulais vraiment mettre ces jeunes créateurs en valeur, et aussi justifier le prix. Ce sont de toutes petites productions, fait de manière quasi-artisanale, dans les meilleurs ateliers en Italie. Un client qui voit ça en ligne à ce prix là n’achètera jamais. Les marques qui vendent en ligne sont celles qui ont déjà une certaine réputation.

As-tu déjà repéré de nouveaux designers que tu aimerais acheter ?

On va rentrer un jeune créateur africain, Lukhanyo Mdingi, qui a gagné le prix Karl Lagerfeld au Prix LVMH  2021. Il crée du knitwear magnifique, très inspiré des années 70. Ça s’apparente presque à de la haute couture. On l’aura dès l’hiver prochain.

Tu crées aussi désormais des miroirs qu’on peut trouver dans ta boutique ! D’où t’est venue l’idée ?

On a déménagé pendant le deuxième confinement. On n’avait plus de meubles, donc j’ai commencé à en faire moi-même. J’ai commencé par une table parce qu’on n’avait qu’une table de camping… Et puis comme je suis « influenceuse » et narcissique (rires), je me suis dit : « il me faut des miroirs ! » C’est tout bête, mais beaucoup de mes posts sur Instagram sont des photos de moi dans mon miroir. Désormais je voulais que le miroir soit cool lui aussi. J’ai commencé par des petits formats avec de la mousse, de la résine et des pigments. C’était un peu catastrophique au début, je me suis même brûlée… Et puis j’en a fait un, puis deux, puis trois… Quand j’ai commencé à les partager sur Instagram, beaucoup m’ont demandé où on pouvait les acheter. Au départ je ne l’avais même pas envisagé, et puis j’ai peaufiné le projet avant de faire quelques « drops ». Et ça a plutôt bien marché ! Prochaine étape : faire ma table en résine !

Interview : Maxime Der Nahabédian

Photos : Jean Picon

More Interviews
Tout voir