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26.05.2023 #mode

Louis Gabriel Nouchi

Quelle sensualité pour l’homme contemporain ?

« Je conçois LGN comme une plateforme de débat avec laquelle questionner les conventions sociales« 

Pousser la porte du 4 rue Oberkampf, c’est entrer dans l’univers léché de Louis Gabriel Nouchi dont la boutique n’est autre que la synthèse de ce qui fait l’essence de sa marque: l’amour de la littérature, du vêtement bien fait, et surtout, de tout ce que représente le masculin. Rigoureux, talentueux, visionnaire, perfectionniste, difficile de rester de marbre face à Louis Gabriel Nouchi tant le styliste, formé à la Cambre, dirige d’une main de maître son label éponyme avec lequel il pense une mode par et pour l’homme. LGN est tout à la fois un espace de débat et un safe space où les pièces aux tombés impeccables se font traduction physique des questionnements taraudant Nouchi: nos sociétés, nos conventions, nos us et coutumes. Et c’est sous le prisme étonnant, et finalement peu abordé, de la sensualité, que Nouchi apporte sa pierre à l’édifice d’une réinvention contemporaine de la notion de masculinité.

 

Car si la mode croule sous l’ouverture minute, saison après saison, de nouveaux labels, rares sont ceux qui proposent quelque chose de réellement novateur. S’en sortir dans la mode nécessite d’en comprendre tous les aspects techniques, mais la clé du vrai succès réside dans la réponse qu’une marque donne à un manque dont on ignorait précisément l’existence jusqu’à sa mise en lumière. Et ce manque, dans le cas précis de LGN, c’était celui d’un espace visuel masculin laissant place à la sensualité; d’un espace où séduire et être séduit existe, sans tomber, jamais, dans l’amalgame ou la catégorisation. Peu étonnant donc que Louis Gabriel Nouchi fasse partie des finalistes pour le Prix de l’ANDAM 2023 et que la mode ne cesse de murmurer son nom… Rencontre.

Qui es-tu?

Je suis Louis Gabriel Nouchi, je suis français, j’ai 35 ans et j’ai toujours su que je voulais travailler dans la mode. Sans réelle porte d’entrée cependant, ce milieu me paraissait inatteignable… J’ai donc commencé par faire deux ans de médecine et une licence de droit. Rien à voir ! Mais la mode a fini par me rattraper, et à la suite d’un stage chez Vogue époque Carine Roitfeld, j’ai intégré la Cambre en Belgique.

Que retiens-tu de tes années à la Cambre, une des meilleures écoles de mode d’Europe ?

C’est une école qui demande beaucoup de travail et qui forme à 360° sur tous les aspects de la création de marque: les étudiants financent le défilé de fin d’études, s’occupent de trouver des sponsors, castent les mannequins. En 5 ans nos collections personnelles s’élargissent et deviennent plus précises en termes de looks, et maintenant que j’ai ma propre marque, je me rends compte d’à quel point ce travail était formateur. On nous apprend à passer d’une idée à un vêtement à travers une méthode pédagogique à la belge : rigoureuse et touche-à-tout.

Est-ce que cette mentalité belge influence encore ton travail ?

Oui, c’est évident. On dit souvent que je suis un créateur français mais j’ai en réalité été formé chez les belges et les italiens, ce qui a profondément marqué la manière dont j’aborde le design et le processus de création au sens large. C’est d’ailleurs cette approche qui m’a permis de travailler dans d’aussi belles maisons que Raf Sjmons, où j’ai fait du « tailorisme » pur.

Tu es un des rares à avoir eu la chance de participer au festival de Hyères avant la fin de tes études, qu’est-ce que cela t’a apporté ?

J’ai participé au festival au moment où Lætitia Jacquetton, alors chargée des marques propres aux Galeries Lafayettes, a lancé l’idée de faire des collaborations avec les finalistes. C’est une personne extraordinaire, tout comme les nombreuses femmes qui m’ont accompagné au long de ma carrière. Je pourrais citer par exemple Pauline Duval, mon associée sur la marque ou Clarisse Reille, la présidente du Défi. C’est peut-être un schéma: que je sois aidé par des femmes ! En tous cas, ce que m’a apporté le festival, c’est d’abord cette rencontre, et la possibilité de faire une collaboration aussi importante avant même d’avoir mon diplôme.

Penses-tu qu’il soit nécessaire d’incarner sa marque sur Instagram ?

Instagram est un outil de travail absolument incroyable, surtout quand on a une boutique en propre. C’est une vitrine, un catalogue et un moyen d’entrer dans l’intimité d’une marque. Mais j’ai fait le choix de ne pas trop montrer mon visage sur les réseaux.

Pourquoi ?

C’est assez naturel, je n’aime pas trop me mettre en avant et je trouve que la marque est déjà suffisamment personnelle puisqu’elle porte mon nom. Il ne faut pas voler la vedette aux vêtements.

Les collections LGN naissent de ta passion pour la littérature, peux-tu nous parler de cette source d’inspiration ?

Chaque collection se base sur un livre et c’est comme si nous construisions, petit-à-petit, une bibliothèque autour d’un même personnage, d’un héros ou d’un anti-héros. J’ai toujours eu ce processus créatif très instinctif et la marque prend presque la forme d’une thérapie. J’aime le menswear car il a beaucoup de contraintes tant au niveau sociétal, qu’au niveau du prix, des couleurs ou des matières.

Ce qui le rend particulièrement intéressant d’ailleurs…

J’ai toujours fait de l’homme parce que je pense qu’il reste beaucoup à faire: quand le vestiaire féminin regorge d’offres, le masculin est encore très limité. Techniquement, le processus est aussi plus simple car je peux essayer les pièces moi-même. Toute l’équipe les essaie d’ailleurs: femmes, hommes, petits, grands, ce qui explique que l’on ait un casting aussi diversifié pour la marque.

 

Comment la littérature rentre-t-elle dans ce processus créatif et réflectif ?

Il est important de préciser que la littérature n’arrive pas comme une décoration. C’est le principe de l’école belge: rien n’y est gratuit. Toute l’équipe lit le livre et l’on se sert ensuite du contexte, de l’histoire, de l’écrivain et même de la manière dont l’œuvre a été reçue pour construire la collection. C’est pour cette raison que l’on travaille sur des œuvres sulfureuses qui invitent au débat à travers des thèmes toujours très actuels, que le livre soit contemporain ou non, d’ailleurs.

Le défilé de janvier 2022 interrogeait la masculinité sous le prisme de l’œuvre de Bret Easton Ellis, American Psycho et a eu un fort retentissement médiatique.

Nous réfléchissions au thème de la masculinité depuis maintenant 3 ou 4 saisons, et avec cette collection en particulier, nous avons vraiment mis le doigt sur quelque chose d’intéressant. Il y a eu de fortes retombées et je pense que c’était un vrai « turning point » pour la marque et la manière dont nous nous positionnons. Mais je pense également que c’est SS21 qui a entraîné le vrai décollage de LGN. C’était notre toute première fashion week et nous avons dû faire une vidéo plutôt qu’un show physique. Nous n’avions plus de tissus, plus rien.. Ce contexte nous a poussé à réfléchir à l’essence de la marque. Et cette essence, c’est trois choses : des livres, des gens et des vêtements. Tout simplement.

L’inclusivité masculine est encore peu abordée dans la mode parisienne…

Je pense que nous sommes les seuls à l’aborder comme telle à Paris. Je suis assez fier de le dire d’ailleurs. Nous sommes inclusifs à tous les niveaux: en termes d’âge, de couleurs de peau, de body types, d’anonymat ou de célébrité des mannequins qui défilent, et qui sont, d’ailleurs, des clients. Ce côté disparate forme un tout très cohérent.

La qualité de vos matières fait partie de l’ADN de la marque, peux-tu me parler de ton processus de création, avec les tissus notamment ?

Je travaille surtout en fonction du ressenti que je souhaite avoir sur une pièce. Les marbrés par exemple sont déclinés en plusieurs techniques, en dentelle, en jacquard, en print. J’aime transférer les motifs d’une technique à une autre et nos textiles sont tous développés en propre afin qu’ils soient le plus personnels possible. Depuis l’ouverture de notre boutique de la rue Oberkampf, la qualité des textiles a pris encore plus d’importance: LGN c’est du touché, du physique, du changeant. La majeure partie de nos tissus sont sourcés en France et notre supply chain est en Europe. Il est parfois difficile de s’en rendre compte de l’extérieur mais quand on fait défiler un simple tee-shirt blanc sur un jean il y a un millier de visages derrière. C’est là la beauté de la mode: une toile de personnes aux savoir-faire différents.

Dans cette logique d’inclusivité, vous faites parfois défiler les mêmes silhouettes sur différents hommes, pourquoi ce choix ?

Ce qui me fascine le plus, c’est la portée sociale du vêtement. Je m’explique : il est possible de travailler un modèle à l’infini, un tee-shirt blanc ou un jean par exemple, sans que celui ci n’ait jamais la même signification sociale. Pourquoi le porte-t-on ? Comment ? Sur un même défilé il arrive donc effectivement que plusieurs hommes portent les mêmes looks: le look est rendu différent par celui qui le porte. Nous avons beaucoup de demandes là-dessus et les clients sont de mieux en mieux informés. Pour les prix, c’est pareil, nous cherchons le bon équilibre pour établir un cercle vertueux, en termes de traçabilité notamment.

Avez-vous beaucoup de demandes sur l’éco-responsabilité et la traçabilité de vos pièces ?

Tout dépend du client et du marché, les Américains n’en parlent pas beaucoup, par exemple. Nous essayons de rester droits dans nos bottes mais les facteurs sont multiples quant il s’agit d’analyser l’empreinte carbone d’une marque. Les matières utilisées peuvent par exemple, comme le coton qui est certes naturel mais qui consomme énormément d’eau à la production. Nous réussissons à être No Waste en estimant nos quantités de vente et en produisant des pièces intemporelles qui se vendent autant en été qu’en hiver. Il s’agit de travailler de manière agile, sans gros logos, avec la simple signature de la marque: l’encolure montrant la peau.

Cette encolure signature suggère votre interprétation de la bienséance masculine.

J’aime cette soft révolution qui rappelle la littérature. Le moment de lecture est pour moi un endroit d’évasion et de confort aussi intime qu’un vêtement. Il est possible de lire le même livre à différents moments de sa vie et de le comprendre différemment. C’est pareil avec un vêtement, que l’on peut porter de manières très différentes en renvoyant toujours un message conscient sur nous-mêmes.

Accepter cette sensualité de l’homme, c’est l’ADN de LGN ?

La sensualité et non la sexualité, oui. Il est facile de parler de sexe, moins d’aborder la notion de sensualité. C’est un sujet assez peu exploité car les conventions sociales entraînent encore trop souvent des catégorisations. Je conçois LGN comme une plateforme de discussion avec laquelle questionner ces conventions: c’est une invitation au débat qui passe par le livre choisi pour la collection. C’est aussi une invitation à ressentir des émotions à travers le vêtement et à réinterpréter nos réalités. L’important est de ne jamais être agressif pour pouvoir créer un vrai dialogue, comme un safe space.

Comment le sous-vêtement s’est-il intégré dans le vestiaire LGN ?

Il s’agissait au départ de répondre à une demande, mais c’est rapidement devenu un it-product. C’est une entrée dans la marque par l’intimité, à travers un produit accessible, universel et fidélisant.  L’underwear est un monde vraiment à part, un peu comme la maroquinerie, parce que les pièces sont très techniques. C’est un vêtement si intime qu’il doit être absolument parfait. C’est aussi une pièce m’a fait beaucoup réfléchir quant au ton que je voulais donner à la marque: que raconter quand on ne met en scène qu’un corps et un sous-vêtement ?  Faut-il faire quelque chose de très commercial ou de très niche ?  Le look débardeur/slip que nous avons présenté questionne donc une fois encore la sensualité de l’homme en montrant la peau.

Tu dis avoir été élevé à l’école belge. Qu’est-ce que serait l’école française en comparaison ?

Et bien je ne sais pas justement ! Mais ce que je peux dire c’est que la mentalité belge est très radicale en termes de création. C’est un vrai laboratoire artistique et tout ce que j’ai développé là-bas se retrouve dans ce que je fais aujourd’hui. L’école belge, c’est nous apprendre à être rigoureux tout en sachant prendre du recul: la mode ne sauve pas le monde, au contraire.

Est-ce que l’on peut aborder tous les sujets dans la mode ?

Il faut une honnêteté intellectuelle sur une chose à mon avis:un défilé est avant tout là pour vendre. Une marque n’est pas une galerie d’art puisque les vêtements ont une fonction concrète. C’est génial de réussir à faire passer une émotion avec les pièces mais je n’ai pas envie de devoir faire tout un discours pour les vendre.

A-t-on besoin de clés de compréhension dans la mode, comme on en a besoin dans l’art ?

Je pense que ce ne sont pas les mêmes référentiels. Est-ce que je me considère comme un artiste ? Je ne sais pas. Ce que je sais c’est que je n’aime pas mettre les choses dans des catégories. Peut-on vraiment comparer un photographe et un peintre ? Comment faut-il parler de la danse, de l’écriture ou du journalisme ? Ce que je peux conclure, c’est que ce qui est particulièrement intéressant dans le vêtement, c’est le changement constant. L’adaptation au monde dans lequel nous vivons fait partie intégrante de la discipline.

 

Propos recueillis par Pauline Marie Malier

Photos : Jean Picon

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