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07.09.2023 #design

Muller Van Severen

Designer de l’Année au salon Maison & Objet

« Nous voulions créer un objet qui donne l’impression que quelque chose d’humain se passe autour de lui. »

Muller Van Severen est le duo formé par les designers belges Fien Muller et Hannes Van Severen. Basé à Evergem, près de Gand, Muller Van Severen a été nommé Designer de l’Année au salon d’intérieur Maison & Objet, qui se déroule jusqu’au 11 septembre 2023 au Parc des Expositions, à Villepinte.

Après avoir étudié la sculpture et travaillé chacun de leur côté en tant qu’artistes, le couple s’associe en 2011 pour créer des objets fonctionnels. Leur désir initial de concevoir des pièces domestiques est né de la nécessité de meubler la maison qu’ils étaient en train de rénover. L’une de leurs premières idées était une table avec un des pieds de table se poursuivant et se fondant dans une lampe en surplomb. Cette pièce et d’autres, telles que des lampes suspendues et des étagères dont une étagère rallonge en table, ont été exposées à la galerie Valerie Traan, à Anvers, qui les a éditées sous la marque Valerie Objects.

Aujourd’hui, douze ans plus tard, les pièces emblématiques et élégantes de Muller Van Severen sont exposées dans un espace spécialement conçu dans le Hall 7 de Maison & Objet. Ce qui les distingue, c’est la nature hybridée et multifonctionnelle de leur travail et la façon dont les objets rappellent des dessins dans l’espace en raison de leur qualité légère, aérée et presque transparente.

 

Comment avez-vous vu conçu la scénographie de votre installation à Maison & Objet, dont le thème de cette édition est « Enjoy » ?

Hannes Van Severen: La scénographie est le reflet de notre situation domestique. Nous avons une petite oasis loin du bruit, loin de la ville, loin de tout. Nous fermons notre portail et nous nous retrouvons dans notre maison, notre studio et notre jardin. Ce sont comme trois îles, avec un chemin entre elles et quatre murs qui nous déconnectent de l’extérieur. Nous avons réalisé une grande installation avec des objets sélectionnés issus de nos douze années de collaboration.

Fien Muller: Ici aussi, à Maison & Objet, nous voulions nous isoler un peu du bruit et inviter les visiteurs à découvrir notre monde.

Comment vous êtes-vous rencontrés pour la première fois ?

Fien Muller: Nous nous sommes rencontrés à l’école d’art de Gand, en 2001. J’avais déjà étudié la photographie mais je voulais me mettre à la sculpture, alors je me suis inscrit à l’académie de sculpture.

crédits: courtesy of Muller Van Severen

 

Vous avez commencé à collaborer une décennie plus tard…

Hannes Van Severen: Après avoir obtenu nos diplômes, nous travaillions déjà en tant qu’artistes individuels depuis environ dix ans et exposions dans une galerie à Gand. Mais une Anversoise [Valérie Traan] qui suivait notre travail a ouvert une nouvelle galerie à la croisée de l’art et du design et nous a invités à faire une exposition. Nous avions toujours voulu travailler ensemble mais nous ne savions pas comment. Ce fut une bonne opportunité de commencer à travailler ensemble avec un médium différent en créant des objets fonctionnels.

Vous avez réalisé vos premières pièces afin de meubler la cuisine de votre maison que vous rénoviez…

Hannes Van Severen: Le problème était que nous n’avions pas d’électricité au-dessus de nos têtes, là où nous voulions avoir une table, alors nous avons créé cette table avec une lampe. C’est devenu une collection complète avec des meubles aux fonctions multiples.

Diriez-vous que votre façon de travailler est intuitive ?

Fien Muller: Une idée en amène une autre. On commence avec quelque chose, puis on pense à ajouter une étagère ou une lampe, ou quand on y ajoute une étagère, cela devient une table. Il est également important d’avoir un sens et un langage poétiques, tout en restant très techniques et radicaux. Cet équilibre est intéressant ; nous voulons avoir les deux en une seule pièce : celle-ci doit être fonctionnelle et radicale, mais aussi chaleureuse, calme et poétique. Parfois, il s’agit aussi de créer quelque chose de plus sculptural.

Hannes Van Severen: Oui, cela vient de nos entrailles, c’est dans la droite ligne de ce que nous faisions auparavant mais de manière inconsciente. Nous avons besoin de faire les choses que nous créons. C’est le langage que nous parlons ensemble, entre l’émotionnel et le rationnel. Nous n’avons pas besoin de beaucoup de mots pour comprendre ce que nous allons faire.

Quels artistes, architectes ou designers vous ont inspirés ?

Hannes Van Severen: Des architectes comme Le Corbusier, Oscar Niemeyer, Mies Van Der Rohe… Mais on trouve l’inspiration partout. Je n’ai pas vraiment de héros.

Fien Muller: Également des artistes comme Giorgio Morandi et Gordon Matta-Clark. Mais le dialogue constant que nous partageons ensemble est la chose la plus inspirante, je pense, ça va d’une piscine à un musée en passant par un magasin. C’est la vie quotidienne qui nous inspire le plus.

Certaines de vos pièces, comme « Crossed Double Seat » (2012) – deux chaises se faisant face, fabriquées en cuir naturel et suspendues entre des tubes soudés – expriment l’intimité de votre relation et la façon dont les gens vivent et interagissent les uns avec les autres…

Fien Muller: Cela fait partie de l’installation que nous avons présentée en 2012 lors d’une exposition collective, « Future Primitives », à la Biennale Intérieur de Courtrai, en Belgique. Nous voulions créer un objet qui donne l’impression que quelque chose d’humain se passe autour de lui. Nous réfléchissions à la façon dont nous pourrions être ensemble, comment les gens pourraient s’asseoir, discuter et être proches les uns des autres. Même lorsque personne n’est assis ou n’utilise nos meubles, ils doivent avoir quelque chose de symbolique, comme un récit.

Comment compareriez-vous la création artistique à la création d’objets fonctionnels ?

Hannes Van Severen: En art visuel, nous pouvions faire tout ce que nous voulions. Mais nous nous sentons paradoxalement libérés lorsque nous fabriquons des objets fonctionnels car il y a une frontière et une fonction à respecter. Pour nous, c’est très libérateur d’avoir la liberté de travailler dans ces limites.

Pouvez-vous citer un exemple ?

Hannes Van Severen: Nous avons eu l’occasion de travailler avec Bitossi Ceramiche, une entreprise de céramique en Toscane. Et nous avons été invités à visiter leurs usines où nous avons vu cette belle façon ancienne de travailler l’argile et les fours. Nous nous sommes alors donné une tâche : fabriquer des vases. Nous étions à l’aéroport et tout ce que nous avions avec nous était du papier A4 et un stylo. Nous avons décidé de donner au vase la forme standard A4 et de travailler uniquement sur cette base. Nous avons commencé à dessiner beaucoup de modèles intéressants parmi lesquels nous venons d’en sélectionner huit [pour le « Vase Onda », 2023].

Fien Muller: La fonction est aussi pour nous une limite : dans un vase, il doit y avoir des fleurs. Il s’agit donc de réfléchir à la façon dont les fleurs tombent et si la hauteur est correcte. Il y a donc une limitation fonctionnelle et formelle.

Votre travail a souvent été décrit comme s’apparentant à des dessins dans l’espace. Basez-vous beaucoup vos créations à partir de dessins ?

Fien Muller: Oui, exactement. On exprime nos premières petites idées par le dessin mais on passe presque tout de suite à l’échelle un en commençant à réaliser des maquettes et les premiers prototypes. Nous avons une idée des proportions d’un objet et de la façon dont il doit interagir avec un être humain. Nous pensons qu’il est très important de commencer immédiatement dans l’espace.

Hannes Van Severen: On privilégie la transparence et les lignes fines qui sont comme des dessins dans l’espace car on aime respecter le fond. Nous aimons aussi réaliser de petites installations ou des paysages avec nos objets qui se connectent au sol et au mur et jouer avec le juste équilibre entre absence et présence, entre s’évader et se laisser apprivoiser par quelque chose.

Une série qui joue beaucoup avec la transparence est « Wire S » (2016) – une collection de chaises longues créée pour Solo House et conçue par Office kgdvs dans le nord de l’Espagne. Que pouvez-vous nous dire sur ce projet ?

Hannes Van Severen: Tout est parti d’une étude de cette maille métallique avec laquelle nous avons créé toute une famille d’objets. On a aimé avoir cette transparence car les pièces sont présentes mais on voit aussi à travers elles. Elles respectent le bâtiment derrière et la nature. Il s’agissait, encore une fois, d’un mobilier ayant un équilibre entre absence et présence.

 

Parfois, un matériau sert de point de départ à un projet…

Hannes Van Severen: Oui, comme la collection de meubles « Alltubes » (2020), qui a été réalisée avec la répétition d’un tube en aluminium. Nous étions chez le soudeur où nous avons vu tous ces tubes superposés sur un rack, ce qui était vraiment inspirant. Nous avons donc commencé à travailler avec cet élément et essayé d’étudier ce que nous pouvions en faire pour atteindre son potentiel maximum. Le tube a une rondeur qui, à force de répétition, devient comme une vague et les lignes se reflètent, comme dans l’eau. Notre objectif est toujours de faire quelque chose de sauvage dans un cadre strict. C’est un peu comme s’évader et s’apprivoiser, entre être calme et sauvage, et trouver cette harmonie. « Alltubes » est également un bon exemple de la façon dont le matériel vous guide, vous indiquant jusqu’où vous pouvez aller.

Fien Muller: L’intérêt pour le travail de l’aluminium est également héréditaire. Le père de Hannes, Maarten Van Severen [designer et architecte d’intérieur belge, 1956-2005] travaillait avec l’aluminium.

Vous aimez créer des familles d’objets. Pourriez-vous nous en dire plus sur la famille « Arcs », composée de bougeoirs, de vases, de miroirs, d’abat-jour et de dessertes, tous conçus avec un cadre festonné, pour la marque danoise Hay ?

Hannes Van Severen: Nous avons d’abord réalisé les lampes, puis les chariots et les miroirs avec la répétition de ces arcs. Il y a un ADN et un langage indéniables dans ce que nous créons.

À quel moment du processus de conception décidez-vous quelle couleur utiliser ?

Fien Muller: La couleur, comme la matière, vient au début car elle crée du caractère et influence la forme du design.

« Frames » (2022), une série d’éclairages muraux sculpturaux et de miroirs réalisés en découpant et en pliant des plaques simples d’aluminium, est également le fruit d’une enquête. Pouvez-vous développer ?

Hannes Van Severen: Nous nous sommes donné pour mission de commencer à travailler à partir d’une feuille de métal. Et simplement en découpant et en pliant du carton à une échelle individuelle et en créant des fonctions telles que l’éclairage et les miroirs, nous avons réalisé cette série d’objets muraux. Ils font également référence à des scènes poétiques comme la lune ou une fenêtre, apportant une autre dimension car c’est quelque chose qu’on connaît.

Fien Muller: Il y a quelque chose de très belge dans « Frames », comme un fond surréaliste dans un tableau de Magritte. Nous n’en étions pas conscients lorsque nous avons réalisé la série, mais parfois les choses viennent de votre parcours ou de votre ADN.

Interview par Anna Sansom

Photos Credits: Anne-Emmanuelle Thion and Courtesy of Muller Van Severen

 

https://www.maison-objet.com/paris/visiter

https://www.mullervanseveren.be

 

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