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22.06.2023 Hyères #design

Noé Duchaufour-Lawrance

Président du jury de Design Parade Hyères

“La création d’aujourd’hui doit se poser la question de l’utilité et de la trace qu’elle laissera.”

 

Son nom est mondialement connu. Chic, il a la noblesse oblique de ceux qui se remettent éternellement en question. Désormais installé à Lisbonne, Noé Duchauffour Lawrance, designer pluridisciplinaire, avance dans son époque empreint d’une conscience environnementale chevillée au corps. En tant que président du jury de la 17e édition de Design Parade Hyères cette année, il fait le point sur les nouveaux enjeux du processus créatif et présente quelques pièces qui les illustre.

Comment a surgit “Made In Situ”?

Lorsque je suis arrivé à Lisbonne en 2020, pour rejoindre l’endroit où je devais m’installer, j’ai traversé les vestiges d’une forêt incendiée. Il restait ça et là quelques foyers résiduels, des pompiers exsangues, des cadavres d’animaux calcinés. La violence de ces images cogne encore à mon front aujourd’hui d’ailleurs. Cela a provoqué un déclic. Non seulement il fallait que j’interprète ce que je venais de voir, mais en plus, je décidais de changer mon processus créatif. Je devais réfléchir à ce qui m’entourait et pré-existait: matières, artisans, nature…etc. J’ai donc décidé de jeter avec “Made in Situ” les bases d’un processus créatif dans lequel tout doit être local, cohérent, et pérenne.

C’est une prise de conscience écologique?

Bien entendu, comme tout un chacun je suis traversé par l’urgence climatique. J’ai donc décidé de faire appel aux matériaux qui résultaient directement de ces changements. C’est ce que j’ai déjà fait avec le liège levé sur les chênes qui avaient subi des incendies dans le Var en 2020. Mais je voulais aussi mettre en lumière les talents et les savoir-faire qui l’entouraient. En arrivant au Portugal, j’ai commencé avec les azulejos, cette céramique ancestrale peinte à la main. Le déclic vient des savoir-faire et des rencontres que je fais. Dans la tradition artisanale, on ne gâche pas. On exploite la matière au maximum. Par cohésion, par nécessité économique. Ces valeurs reprennent des couleurs à l’aune de notre époque, alors que pendant longtemps, on ne souciait que du résultat.

 

Ces bougeoirs de bronze et cette cire d’apiculteur en sont donc l’illustration?

Précisément. Joao Amaro est un maître bronzier, initialement spécialisé dans les hélices de bateau. Or, celles-ci, sont d’une exigence absolue. J’ai immédiatement été admiratif de son travail. Je lui ai proposé d’associer son savoir-faire au mien. Ainsi sont nés de mon idée et de ses mains, ces précieux bougeoirs. Il était pour autant hors de question d’y associer des bougies standards. En réfléchissant, je me suis souvenu que la cire était naturellement produite par les abeilles et me suis mis en quête de rencontrer les apiculteurs de Lisbonne. Parmi eux, Joao Neto m’est apparu comme le plus exigeant et le plus respectueux de ces insectes si fondamentaux dans le fonctionnement de notre monde. Pour achever cette idée, Joao m’a proposé de rencontrer Simao Sebastiao, qui a moulé avec un soin inouïe la cire pour en faire ces bougies. On est au coeur de “Made In Situ”.

 

Vous présidez le jury de cette édition 2023. Cet élan créatif sera t-il pris en compte dans vos choix?

Je me réjouis de constater qu’aujourd’hui, la nouvelle génération n’envisage pas de créer sans tenir compte des enjeux climatiques. A mon époque, ils affleuraient, mais disons le franchement, ils n’étaient pas notre priorité. Aujourd’hui, l’upcycling, le sourcing, la conscience collective de vouloir améliorer le monde qui nous entoure est à la racine de la création. Je ne peux pas imaginer une seule seconde que les jeunes artistes qui vont se présenter à nous ne prennent en compte cela. Et tout autant que le résultat, je m’intéresse aux étapes qui auront participé à son élaboration.

Comment reliez vous cela à cette villa, dont on fête le centenaire ?

La villa est certes le fruit d’une volonté de modernisme d’un couple d’esthète. Mais elle est aussi le résultat, et on l’oublie parfois, de nombreux aménagements successifs. En ce sens, elle a évolué au fil des années, comme mon processus créatif.

 

Propos recueillis par Nicolas Salomon

Photos : Jean Picon

 

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