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06.05.2022 #musique

Owlle

Folle Machine

« J’avais envie de me montrer et de contourner mes faiblesses »

Élégante, drôle et charmante, Owlle ou France pour les plus proches, change de couleur de cheveux à chaque fois qu’on la croise et ne passe jamais inaperçue. Connue pour ses titres électro-pop en anglais, après dix ans de carrière internationale, elle revient sur le devant de la scène en chantant dans sa langue maternelle : le français. On rencontre Owlle à la nouvelle exposition éphémère de la maison d’édition d’objets, Théorème Editions. Un espace épuré, graphique et haut en couleurs, à l’image de son univers visuel : avant la musique, elle rêvait de devenir artiste-plasticienne. Si on la retrouve aujourd’hui c’est pour la sortie de son troisième album “Folle Machine”. Son disque le plus intime, qu’Owlle a produit sous son propre label. Un nouveau chapitre, où elle se montre sans filtre et s’assume. Une femme libre qui n’a peur de rien. « Il ne faut pas souffrir ou être mal pour écrire, mais c’est vrai que quand tu es heureux, tu as moins la nécessité de raconter des choses. Tu ressens des émotions quand tout n’est pas carré dans ta vie”, dit-elle, en souriant. En attendant de la retrouver en concert le 9 juin au Consulat, Owlle se confie à Say Who.

Tu t’appelles France, mais on te connaît mieux sur ton pseudo Owlle. Pourquoi ce choix ?

Je cherchais des mots pour un texte, j’ai ouvert le dictionnaire anglo-français, et j’ai vu le mot “Owl” (« chouette » en anglais, ndlr). Je me suis dit que la définition de chouette en anglais était belle. Je le vois écrit et je remarque que c’est beau ce “Owl”. Quand j’ai créé ma page Myspace, j’ai écrit “OWL-LE”, comme “ELLE”. Voilà, c’est resté, puis, c’est devenu mon nom de scène. Au tout début, quand on me demandait comment ça se prononce, je ne savais pas comment répondre. C’est compliqué, quand cela n’existe pas ! Mais c’est chouette, ce jeu de mots. 

Tu as fait des études en scénographie puis les Beaux Arts à Paris. Aujourd’hui est-ce que tu pratiques d’autres formes d’art ? 

Avant de faire de la musique, je faisais plein de choses. Mais dès que j’ai choisi d’en faire mon métier, il y avait moins de place pour le reste. Plus jeune, je faisais des installations, je travaillais avec des matières comme le silicone ou la céramique; des choses qui étaient un peu hybrides. J’avais commencé la vidéo aussi, mais c’était pas toujours simple. Lors de notre rencontre chez Théorème Éditions, cela me donnait envie de mettre en place des choses car ce que je faisais était dans le même esprit. Je pense profiter de l’été pour essayer de recréer des objets et reprendre la céramique, par exemple. 

Pourquoi ton nouvel album s’appelle “Folle Machine” ? 

Cela me parlait comme un titre idéal, parce que dans ma tête, il y avait toute cette idée de chaos. Pour moi, “Folle Machine” résumait bien mon état quand je l’ai écrit : je me suis lancée à 200 à l’heure, j’avais l’impression que tout s’emballait, dans le bon sens. “Folle Machine” c’est aussi moi, parce que je suis quelqu’un qui est très dans l’excès, même si cela ne se voit pas. Mais ce n’est pas une folie meurtrière, plutôt une folie douce, qui fait du bien. Quand je dis “Folle Machine” c’est du cynisme aussi, parce que dans la vie je me fous un peu de moi-même sur le fait que je fasse des erreurs et que je les répète, sans en tirer des leçons. Après, j’ai changé beaucoup de choses sur cet album : il y a eu une rupture avec le passé, j’ai changé mon équipe et ma vie personnelle a changé également. Pour moi, “Folle Machine” représente le renouveau. Dans cet album, il y a un décalage même si on prend sa pochette. D’ailleurs, même dans le style, on sent qu’il n’y pas une chanson qui ressemble à l’autre. Je ne me suis pas limitée, j’ai laissé parler ce qui venait, et les collaborations ont été faites de manière organique. 

 

Justement, la pochette de ton album, créée par le duo d’artistes plasticiens Gourau & Phong, est aussi un chef d’œuvre en elle-même, entre futurisme et réalisme. Comment as-tu eu cette idée ?

Cela vient du confinement. Comme sur chaque album, dès que je commence à réfléchir à l’image, je pense tout de suite à un/une photographe qui me donne très envie, qui me ramène dans un univers. Je me demande aussi, comment je peux amener ce photographe dans ce que j’ai envie de raconter, et on fait la collaboration. Le premier confinement était le plus compliqué, tout voyage était impossible, et les photographes, à qui j’ai déjà écrit, étaient à l’étranger. Donc j’ai commencé à regarder autour de moi. Quand je suis tombée sur le travail de Gourau & Phong sur Instagram, pour moi c’était évident, parce qu’ils mélangeaient l’aspect numérique à quelque chose d’hyper sensible. Jusqu’ici l’univers 3D ne me plaisait pas du tout, j’avais un rejet de sa froideur, de son côté très clinique. Mais en voyant leur boulot, j’ai réalisé qu’on va réussir à faire des trucs fous, on peut faire voyager partout, parce qu’avec leur technologie tout est possible. 

Et cela a pris beaucoup de temps ?

J’étais dans leur studio pendant une journée, il n’y a aucun élément de décor qui existait avant, cela n’est que le fruit de notre imagination. Le jour-même on m’a juste scanné dans une machine en 3D, ensuite, ils ont retravaillé ces scans-là et ils ont construit le décor. C’était une expérience magnifique, même si le travail visuel sur cet album était le plus long que j’avais eu à faire, cela durait six mois entre le premier scan, nos premières idées, et le moment où on a élaboré la direction… C’était un travail long, mais qui a permis de raconter une grande histoire au final.

Sur la couverture il y a un chat, c’est le tien ? 

Non, j’ai pas de chat, c’est un chat d’une très bonne copine. Je le garde, quand mon amie part en vacances. J’aime tellement ce chat que c’est devenu ma pote, elle s’appelle Rumi. J’ai dédicacé cet album à Rumi, et je lui ai même offert un vinyle. 

Dans ton univers artistique les vidéos sont très importantes. Souvent tes clips racontent une histoire. Et cette fois-ci tu as réalisé le clip de “Le Goût de la Fête” toi-même ! 

C’est ce que j’ai voulu faire depuis longtemps, mais je n’avais pas forcément toutes les clés pour faire la réalisation toute seule. J’avais aussi peur de me lancer : ce n’est pas mon métier, mon métier c’est faire de la musique, et de réfléchir à plein de choses. Mais quand j’ai essayé, j’ai adoré, cela m’a paru très naturel. J’aimerais beaucoup continuer. Peut être, me lancer dans un documentaire sur ce que je vie par rapport à mon métier, sur comment je vieillis, comment je le perçois. Si on approche tout ce que je vis là, la position qu’on veut avoir, comment faire de la pop musique en France. Même si j’ai pas le succès d’une Angèle, j’ai plein de choses à dire aussi.

La vidéo de “La Flemme”, créée en collaboration avec le duo “I Could Never Be a Dancer”, est le manifeste d’une femme libre et indépendante, qui n’a pas peur d’être différente. Quelle est la genèse de cette vidéo ?

Cette histoire est personnelle : quand j’étais adolescente, j’étais opérée du dos, j’avais de grandes cicatrices et j’ai porté un corset. À ce jour j’ai plein d’éléments de titane en moi. Quand j’ai vu le film “Titane”, j’ai réalisé que c’est quand même fou, moi qui adore “Crash” de Cronenberg et qui a vécu la même chose, je n’ai jamais utilisé cette légende dans mon travail. J’avais envie de contourner les faiblesses, de montrer que, finalement, ce qui m’est arrivé, cela ne m’empêche pas de faire ce que je fais aujourd’hui. Avec Carine et Olivier de “I Could Never Be a Dancer » on s’est demandé comment parler de la contrainte, du fait que parfois quand on est immobilisé, on peut faire quelque chose de son corps ? Voilà, notre chorégraphie. Comme “La Flemme” parle de quelqu’un qui n’a plus envie de faire des efforts envers les autres, des gens qui nous ne méritent pas dans leurs vies, on a construit cette chorégraphie et je me suis sentie à l’aise. Et pourtant elle est difficile ! Mais c’était tellement imprimée dans mon histoire que je me sentais à la fois belle et sexy, alors que ce qu’on raconte c’est le plus intime dans ma vie. Quand cela m’est arrivé, je me suis sentie la plus moche au monde. Quinze ans plus tard, je me sens plus forte et libre.

Tu dis souvent que tu ne veux pas être dans le confort dans ce métier. Pourquoi ?

Oui, c’est clair car sinon je ne ferai pas de musique. Ce n’est pas le métier le plus confortable, il n’y a pas de stabilité à aucun niveau. Quand tu crées, tu ne sais pas comment cela sera aperçu. C’est le risque de ce métier, et je l’assume.

Tes chansons font partie de la bande son de la série du moment “Emily in Paris” et tu as composé aussi la musique de “Skam France”. Comment crées-tu le lien entre les personnages et ta musique ?

Avant de voir les images, je lis le script, je comprends l’histoire et ses enjeux, quel personnage doit exprimer quoi à quel moment. Souvent dans “Skam”, ce sont des histoires communes, qui nous touchent tous. Je parle aussi de ce ça évoque pour moi. Je commence à construire avec des choses très personnelles et ensuite je le calque, je vois si ça marche ou pas.

Pour “Emily in Paris”, savais-tu où ils allaient mettre tes morceaux ?

Non, pas du tout. C’était une surprise, je l’ai découvert avec tout le monde. Je crois qu’ils avaient un coup de cœur sur “Mirage”, qu’ils avaient demandé en option au début. Ensuite, ils ont découvert “La Flemme”, puis, ils ont demandé une autre chanson “Sounds Familiar”. Jusqu’à la diffusion, je pensais soit qu’ils ne les garderaient pas, soit qu’ils n’en garderaient qu’une seule… Finalement, ils ont pris les trois. Chaque placement a été très bien pensé, et “Mirage” au final, c’était le pompon. En plus, l’album n’était pas encore sorti, c’était encourageant et très touchant.  

Comment ce succès a-t-il mis en avant ton univers ? Y a-t-il un avant et un après “Emily in Paris” ?

Cela crée tout de suite un lien, les gens l’ont vue ou ils savent de quoi on parle. Et puis, il y a des gens à l’étranger qui se sont mis à écouter ma musique, en disant qu’ils avaient découvert le projet grâce à “Emily in Paris”, et ils continuaient à me survivre. C’était une belle opportunité. D’ailleurs, toutes les chansons sont en français, même “Sounds Familiar”, c’est la version française qu’ils ont gardée, c’est ça qui est le plus drôle. 

Tu chantes en anglais et en français, mais tu es surtout connue pour tes chansons en anglais. Qu’est-ce qui t’a poussé à revenir au français ?

En fait, c’est la création du titre “Mirage”. On était trois à l’écrire, et quand je suis sortie du studio, j’ai réalisé que j’aime trop cette chanson, je vais la garder. J’ai ressenti un truc tellement cool que cela me semblait un peu dommage que j’ai exclu trop vite le français de ma création. Je continuerai toujours à écrire en anglais, mais aujourd’hui spontanément c’est le français qui m’excite. 

Tu as un look très prononcé. Comment pourrais-tu décrire ton style sur scène et dans la vraie vie ?

Depuis toujours je n’ai jamais été sur les marques. En revanche, je me souviens que très tôt je prenais des vêtements de ma mère qu’elle ne mettait pas, et qui n’étaient pas du tout adaptés à mon âge, par exemple, des capes. Et j’avais toujours envie de les twister. Au lycée, je savais que mon style ne faisait pas l’unanimité, mais certains voyaient un truc cool dedans. Ma mère m’a beaucoup encouragé aussi. J’avais ces problèmes du dos, j’étais très fine, et elle me disait que je pouvais mettre n’importe quoi et que cela allait marcher. Le live, c’est pas si différent. C’est juste que c’est un peu plus poussé, parce que j’ai envie d’être dans un personnage. J’aime bien sentir que je sors du quotidien, que je ne suis plus la “France de tous les jours”.

Quand as-tu compris que la mode et les images ont un impact très fort ?     

Très vite parce que toutes les personnes que j’admire dans la musique, les looks ça allait avec. David Bowie, Lady Gaga, Prince, Kate Bush, Björk, ils ont tous une approche un peu particulière à la mode. Même chez ABBA, ce sont les références que j’aime, il y avait toujours l’aspect spectacle. Pour moi, cela fait partie du même message.

Tu mélanges très bien les marques les plus pointues avec des pièces chinées partout dans le monde. Quels sont tes coups de cœur du moment ?

J’avoue que la dernière proposition de Coperni, c’est beau, c’est très minimal et je trouve qu’il y une certaine élégance. J’aime bien Patou aussi. Je connais Guillaume Henry depuis très longtemps : quand il était chez Carven, il m’a habillée pour les concerts. Quand j’ai vu sa vision chez Patou, j’ai trouvé ça intéressant, très Parisien. J’aime bien un peu son mélange français traditionnel. Après, je regarde souvent Instagram et récemment je suis tombée sur cette photo de Merc Aquino qui vit à Londres. Il a fait une pièce en mode mi-sirène mi Roméo et Juliette, et j’ai adoré. C’est juste une pièce, mais je pense que s’il a fait ça une fois, il va proposer autre chose. C’est drôle, très souvent les gens pensent que j’ai une garde-robe de 10 km de long, mais ce n’est pas vrai. En fait, j’ai peu de choses, mais je les twiste avec une nouvelle pièce, que je vais garder longtemps, parce que je l’aime. Je ne consomme pas beaucoup, par contre, si j’ai un vrai truc émotionnel avec une pièce, je peux faire un craquage, mais je sais que cela va me durer longtemps.

Tu es une artiste indépendante maintenant, tu te produis toi-même et tu as monté ton propre label. En quoi cela te rend-il plus fort ?

J’ai plus de temps pour faire des choses. J’ai des gens qui comprennent où j’ai envie d’aller. Il y a moins d’intervenants, et c’est plus sympa à gérer pour moi. Cela me ressemble plus. Avant j’étais chez Sony, ce n’est pas un enfer, non plus. Mais c’est juste que c’était moins humain, c’était beaucoup trop grand pour moi. Je ne produis que moi-même pour le moment : c’est déjà pas mal de faire ce boulot toute seule, mais peut être dans quelques années si cette structure évolue, pourquoi pas miser sur les autres profils même dans l’art, ou créer des lieux ? Je ne sais pas comment je le ferai, mais ce n’est pas impossible. 

Comment vivras-tu ton retour sur scène ?

Ça fait longtemps, on a perdu un peu le fil avec tout ce temps, mais la reprise va arriver. Et puis cet album, cela va être un positionnement différent, j’ai hâte de reprendre le live en été, c’est important.

 

Owlle sera en live au Consulat à Paris le 9 juin 2022.

 

 

Interview : Lidia Ageeva

Photos : Jean Picon

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